Des trottoirs stratégiques, enjeu d’image nationale
Ces dernières semaines, la silhouette de Brazzaville a changé d’allure. Là où s’érigeaient des étals de fortune et s’amoncelaient des carcasses de véhicules, bordures et trottoirs retrouvent leurs lignes. Portée par le ministre de l’assainissement urbain, du développement local et de l’entretien routier, Juste Désiré Mondelé, l’opération spéciale de salubrité traduit une volonté politique de rehausser l’image du pays et de restaurer l’autorité publique sur l’espace commun.
Dans un contexte où la capitale revendique son rôle de vitrine régionale, l’occupation illégale des emprises routières apparaissait comme une dissonance visuelle et sanitaire. « La ville est la première carte de visite de la nation », rappelle le géographe urbain Léandre Ngatse, soulignant l’impact d’une voirie dégagée sur l’attractivité touristique et la fluidité économique.
Planification gouvernementale et mémoire du Sommet des forêts
L’actuelle offensive puise ses racines dans le Sommet sur les écosystèmes, la biodiversité et les forêts tropicales tenu en octobre 2023 à Brazzaville. Le slogan inaugural, « Ensemble, gardons nos villes propres », s’est mué en fil rouge des politiques urbaines. Deux ans plus tard, la tenue d’une réunion décisive le 5 juillet 2025 avec maires, comités de marchés, police et gendarmerie a matérialisé la phase d’exécution.
Au-delà d’un simple nettoyage, le ministère inscrit la démarche dans un trimestre de l’assainissement, assorti d’indicateurs précis : réduction des dépôts sauvages, suppression des épaves et réinstallation organisée des commerçants. D’après les services techniques, plus de 12 kilomètres d’emprises ont déjà été libérés depuis le lancement officiel.
Police, mairie et marché : la chaîne opérationnelle
Le dispositif repose sur une coordination inédite entre forces de sécurité, autorités municipales et gestionnaires de marchés. À Bacongo, au marché Bernard Kolélas, la circulaire d’assainissement impose désormais un samedi dédié chaque mois. « Tous les commerçants doivent intégrer le périmètre autorisé ; l’espace sera structuré et les tables attribuées », a martelé le ministre Mondelé lors d’une visite de terrain en présence du ministre de la santé Jean-Rosaire Ibara.
À Poto-Poto et Ouenzé, les inspecteurs municipaux sillonnent les artères, sanctionnant les récalcitrants. La fermeture ponctuelle d’un supermarché dont la devanture demeurait insalubre sonne comme un avertissement clair. « Le temps des avertissements est révolu », répète le membre du gouvernement, tablant sur la rigueur pour ancrer la mesure.
Entre adhésion populaire et réticences tacites
Dans les quartiers centraux, l’initiative suscite un écho contrasté. Nombre de riverains saluent un cadre de vie assaini et une circulation plus fluide. « Respirer sans poussière ni fumée de grillades improvisées est un soulagement », confie Mireille, étudiante à l’Université Marien-Ngouabi.
À l’inverse, certains petits commerçants expriment, hors micro, la crainte d’une perte de revenus liée au déplacement vers des marchés formels parfois saturés. Pour l’économiste Coralie Boungou, l’enjeu sera d’« accompagner la formalisation en garantissant des loyers abordables et une visibilité comparable à celle de la rue ». Ce glissement du secteur informel vers des structures régulées représente, à terme, un gisement fiscal non négligeable pour les collectivités.
Vers un urbanisme durable et inclusif
Au plan environnemental, la disparition des dépôts sauvages limite la prolifération d’insectes vecteurs de maladies et améliore la gestion des eaux pluviales. Les premières données de la direction de l’hygiène indiquent une baisse de 18 % des points noirs recensés dans le centre-ville depuis avril.
Le ministère envisage déjà d’étendre la démarche à Pointe-Noire et aux chefs-lieux de département. Selon l’architecte-urbaniste Prisca Mabiala, « la campagne pourrait devenir l’ossature d’un nouveau schéma directeur intégrant zones piétonnes, pistes cyclables et mobilier urbain harmonisé ». Une telle perspective renforcerait la résilience des quartiers face aux crues et aux îlots de chaleur.
Perspectives d’un civisme pérenne
En filigrane, l’opération spéciale vise la construction d’une culture du civisme durable. Affiches pédagogiques dans les arrêts de bus, programmes radios et partenariats avec les associations de jeunesse accompagnent le volet coercitif. « Il n’y a pas de modernité sans responsabilité citoyenne », insiste le ministre, déterminé à « pérenniser l’élan et le suivre jusqu’au bout ».
S’il demeure des ajustements à opérer pour consolider l’inclusion économique des petits vendeurs, la vaste entreprise de réappropriation de l’espace public confirme la priorité accordée par les autorités à un urbanisme ordonné, compatible avec les ambitions de rayonnement régional de Brazzaville. À l’horizon 2030, la capitale espère ainsi conjuguer croissance démographique et qualité de vie, dans un équilibre que scruteront attentivement riverains, investisseurs et partenaires internationaux.