Une rumeur fertile aux abords des potagers de Ngampoko
Sous le ciel poussiéreux de l’arrondissement 8, le quartier Ngampoko vit depuis plusieurs mois au rythme d’une inquiétude sourde. Les petites exploitations maraîchères qui longent la rivière Mfilou, jadis présentées comme un poumon nourricier de Brazzaville, subissent vols nocturnes et dégradations. Selon un récent décompte de l’Association des Productrices de Madibou, près de trente plaintes informelles ont été rapportées depuis janvier. Les commerçantes affirment perdre jusqu’à un tiers de leurs récoltes d’amarante, de gombo ou de concombre, une saignée estimée à plusieurs centaines de milliers de francs CFA par saison et qui fragilise des foyers vivant déjà d’un revenu précaire.
De la maraude au marché : le parcours fatal d’un présumé voleur
Le 4 mai, peu avant l’aube, une maraîchère identifiée sous le nom de « Maman Clarisse » croit reconnaître son maraudeur habituel sur le marché périphérique de Mataba. Le jeune homme, la vingtaine légère, propose des bottes d’amarante encore perlées de rosée. Intriguée par l’origine de la marchandise, la cultivatrice mène sa propre filature, sollicite l’aide de trois voisines et obtient l’« aveu » tacite du vendeur, surpris, dit-on, par l’embarras de la négociation. Conduite de vive force à Ngampoko, la victime n’aura pas le temps d’expliquer les circonstances exactes de la cueillette avant que ne s’agrège un attroupement revanchard.
La foule, la colère et l’irréversible basculement dans la violence
Les témoins parlent d’une centaine de personnes, des riverains mais aussi des passants happés par le tumulte. Les slogans hostiles traduisent la lassitude face au sentiment d’impunité des petits larcins. Le drame se joue en moins d’une demi-heure : coups de bâton, jets de pierres, puis la dispersion à l’arrivée tardive d’une patrouille mixte police-gendarmerie. Transporté au centre hospitalier Makélékélé, le jeune homme succombe à un traumatisme crânien grave, selon le rapport médical consulté par notre rédaction. Le parquet de Brazzaville a ouvert une enquête pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort ».
Cadre juridique et réponse des autorités congolaises
Le ministère de l’Intérieur rappelle que le Code pénal révisé en 2022 incrimine sévèrement toute forme de justice privée. « Nul n’a le droit de se faire juge et bourreau », martèle le commissaire divisionnaire Jean-Bruno Mabiala, porte-parole de la Police nationale, assurant qu’une cellule spéciale a été dépêchée pour identifier les principaux agresseurs. Au sein de l’Assemblée départementale, plusieurs élus de Brazzaville appellent à renforcer la présence policière le long des sites de maraîchage communaux, sans pour autant stigmatiser les franges juvéniles frappées par le chômage urbain.
Regards croisés d’experts : sociologues, magistrats et acteurs locaux
Pour le sociologue Urbain Samba, ce fait divers « expose la crispation d’une population tiraillée entre la nécessité de protéger son gagne-pain et la tentation d’une justice expéditive nourrie par la lenteur perçue des procédures ». La magistrate Aimée-Laure Milongo constate que moins d’un dossier de vol simple sur quatre aboutit à une condamnation ferme, faute, dit-elle, de preuves matérielles. De son côté, le père Raphaël Ngatsé, curé de la paroisse Saint-Luc, rappelle que « la violence se nourrit du silence collectif », plaidant pour des espaces de médiation communautaire où victimes et présumés auteurs peuvent dialoguer avant l’escalade.
Réinventer la coexistence urbaine : pistes pour une prévention durable
Dans un mémo adressé à la préfecture, l’Association des Productrices de Madibou propose la création d’un “label potager sécurisé” adossé à un réseau de gardiens formés par la mairie, financé en partie par la coopérative et en partie par un fonds municipal de soutien à l’agriculture urbaine. La direction départementale de l’Agriculture évoque, elle, la mise à disposition prochaine de lampadaires solaires le long des corridors verts de Ngampoko, un dispositif testé avec succès dans le quartier Nkombo-Mvoumvou. Reste à concilier urgence sociale et respect strict de l’État de droit, un défi que résume l’avocat-conseil Achille Okouya : « Sécuriser les champs, c’est protéger la vie. Dans un État moderne, la réponse pénale doit toujours primer sur l’instinct de vengeance. »