Brazzaville accueille un débat fertile
Sous la canopée symbolique du Centre international de conférences de Brazzaville, une soixantaine d’acteurs publics, privés et communautaires ont, les 23 et 24 juin 2025, confronté leurs points de vue sur la gestion durable des forêts congolaises. Le rendez-vous, impulsé par la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme et l’Observatoire congolais des droits de l’homme, s’inscrivait dans le projet « Consolider la bonne gouvernance, lutter contre les illégalités », appuyé par le programme britannique FGMC. L’objectif affiché était simple dans son énoncé mais ambitieux dans sa portée : faire converger gouvernance forestière et gouvernance climatique afin de pérenniser l’immense capital carbone du bassin du Congo tout en garantissant des retombées socio-économiques tangibles.
Une richesse forestière aux enjeux globaux
Avec près de 22 millions d’hectares de couvert forestier – l’équivalent de la surface du Royaume-Uni – la République du Congo joue depuis plusieurs années la carte d’une diplomatie verte assumée. Les forêts nationales stockeraient quelque 8,6 milliards de tonnes de CO₂, soit plus de vingt fois les émissions annuelles cumulées du pays et de ses voisins immédiats, selon les estimations du Centre de recherche forestière internationale. Autant dire que toute avancée en matière de gestion durable a un écho qui dépasse largement les frontières nationales. De nombreuses capitales en quête de crédits carbone regardent désormais vers Brazzaville, « épicentre discret d’une géopolitique du bois et du climat », comme l’a résumé un diplomate européen présent au forum.
Avancées législatives et attentes opérationnelles
Le nouveau code forestier promulgué en 2020, souvent salué pour son arrimage aux principes du Partenariat pour la mise en application des réglementations forestières (FLEGT-APV), pose les jalons d’une exploitation fondée sur la transparence, la traçabilité et la participation des communautés. Reste toutefois à décliner les décrets d’application. « Le texte existe, le terrain l’attend », a reconnu un haut fonctionnaire du ministère de l’Économie forestière, rappelant que le gouvernement a inscrit cette priorité dans sa Feuille de route 2025-2027. Les participants au forum ont réclamé, dans une note commune, une publication rapide des arrêtés fixant les barèmes de partage de redevances, ainsi que l’élaboration d’un référentiel unique pour les plans d’aménagement d’exploitation.
Entreprises forestières : vers un nouveau contrat social
Les concessions industrielles couvrent environ 65 % du massif forestier congolais et génèrent près de 9 % des recettes d’exportation. Conscientes de cette position stratégique, plusieurs sociétés ont récemment amorcé une transition vers des schémas de certification tierce partie. Le forum a souligné la nécessité d’harmoniser les cahiers des charges en fonction de la taille des entreprises, afin d’éviter qu’un même standard étouffe les petites et moyennes exploitations ou devienne trop permissif pour les grands groupes. « Notre compétitivité passera par la qualité de nos pratiques, pas par le contournement des règles », a déclaré le représentant d’une société basée à Pokola.
Communautés locales : le droit à la parole et aux dividendes
Dans les sous-préfectures de la Sangha et de la Lékoumou, les communautés bantoues et autochtones revendiquent de longue date un rôle actif dans la délimitation et le suivi des aires d’exploitation. À Brazzaville, Albertine Ntsambou, porte-voix du village Béné-Kitanzi, a rappelé que « tracer une frontière sans ceux qui y vivent revient à dessiner une carte sans relief ». Les autorités ont reconnu l’importance de ces partenaires de terrain dans la prévention des coupes illicites. Une expérimentation pilote de cartographie participative, menée depuis six mois avec l’appui de l’Institut national de la statistique, doit être étendue à huit nouvelles concessions d’ici fin 2026.
Le rôle catalyseur de la coopération internationale
Le soutien financier du Foreign Commonwealth & Development Office, évalué à près de 3,4 millions de livres sterling sur quatre ans, offre un levier indéniable pour former les équipes d’inspection forestière et doter les ONG locales d’outils de vérification indépendante. En parallèle, la Banque africaine de développement discute d’une ligne de crédit verte destinée aux PME de transformation ; un signal de confiance qui cadre avec la Vision 2025 du président Denis Sassou Nguesso, aspirant à faire de la filière bois un pilier de l’industrialisation durable.
Vers une gouvernance climatique intégrée
Sur le front climatique, Brazzaville a rehaussé sa Contribution déterminée au niveau national en visant une réduction de 48 % des émissions à l’horizon 2030, principalement grâce à la préservation des forêts. Selon le climatologue Côme Ngakala, « l’articulation entre code forestier, politique foncière et stratégie carbone est la pierre de voûte de cette ambition ». Les échanges du forum ont mis en exergue le besoin d’indicateurs partagés afin que chaque département puisse mesurer l’impact de ses décisions sur la matrice carbone nationale.
Des recommandations pour accélérer le pas
Au terme de deux jours d’intenses débats, les participants ont livré une feuille de route en dix-sept points. Outre la finalisation des décrets, ils appellent à renforcer les synergies entre ONG nationales et communautés, à publier en open data les résultats des audits de légalité et à instituer un fonds dédié à la redevance développement local. La présidence du forum a salué « une convergence d’idées qui conforte la trajectoire gouvernementale ». Reste désormais à passer de la salle de conférence à la forêt, là où chaque arbre coupé ou préservé matérialisera la cohérence des engagements pris.