Un tournoi scolaire qui change d’échelle
Sur les pelouses impeccables du lycée Achimota d’Accra, le sifflet final de la Finale continentale 2024-2025 du Championnat africain de football scolaire a consacré bien plus qu’un vainqueur. En moins de trois éditions, cette compétition lancée par la Confédération africaine de football s’est imposée comme un rendez-vous où se croisent recruteurs, éducateurs et partenaires économiques. L’édition ghanéenne, soutenue par TotalEnergies, a mobilisé près de quatre cents joueurs et joueuses de 12 à 15 ans, issus de dix-neuf fédérations. L’événement souligne la volonté de la CAF de structurer dès le collège un vivier qui, jusqu’alors, se formait surtout dans les championnats de quartiers.
Deux prodiges propulsés sur la scène panafricaine
À l’issue d’une semaine de matches intenses, la direction technique a décerné le titre de « Joueur du Tournoi » à la Ghanéenne Jennifer Awuku, milieu de terrain aux passes millimétrées, et au Sénégalais Souleymane Commissaire Faye, attaquant réputé pour son sens du placement. Les deux lauréats, accompagnés d’un tuteur, fouleront la pelouse de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 au Maroc, non pas comme simples spectateurs mais comme ramasseurs de balles, au plus près des idoles qu’ils entendent rejoindre un jour.
Le Secrétaire général de la CAF, Véron Mosengo-Omba, justifie ce choix symbolique : « Nous investissons dans leur regard. Observer une CAN depuis le bord de touche, c’est absorber en direct la rigueur tactique, la pression médiatique et la ferveur populaire qui font la grandeur de notre sport ». Le programme prend en charge billets, hébergement et encadrement psychologique, preuve que l’instance s’attache désormais à l’environnement du jeune footballeur autant qu’à sa performance.
Formation numérique et ouverture culturelle
En marge des matches, huit adolescents – quatre garçons, quatre filles – ont suivi un atelier intensif de création de contenu animé par des community managers de la CAF. Objectif : apprendre à raconter une rencontre en 280 caractères, cadrer une interview verticale et modérer un fil de commentaires. Pour TotalEnergies, il s’agit de « transmettre des compétences transférables au-delà du terrain », précise son vice-président Marque et Sponsoring, Martin Bertran. L’atelier répond à une demande croissante : de Brazzaville à Abidjan, les clubs peinent à trouver des communicants formés aux codes des réseaux sociaux, alors même que les diffusions en direct se multiplient.
Un partenariat sport-énergie à géométrie éducative
Signé en 2016 puis renouvelé jusqu’en 2029, l’accord CAF-TotalEnergies dépasse la visibilité commerciale. Le géant français finance des bourses d’excellence, équipe des aires de jeu solaires et parraine des stages d’entraîneurs certifiés. À Accra, la compagnie a installé une unité mobile alimentée par panneaux photovoltaïques pour tester l’autonomie énergétique des stades scolaires. « La jeunesse africaine attend des solutions concrètes. Nous devons montrer que la transition énergétique parle aussi le langage du football », affirme M. Bertran.
Cette convergence d’intérêts n’échappe pas aux observateurs : alors que les fédérations recherchent des revenus stables, TotalEnergies bénéficie d’un capital sympathie auprès d’une tranche démographique décisive. Toutefois, l’accord est encadré par une charte éthique qui limite la publicité intrusive et garantit l’indépendance sportive, rappelle la CAF.
Brazzaville, spectatrice impliquée
Depuis les écrans géants installés sur les places de la capitale congolaise, de nombreux lycéens de Brazzaville ont suivi les exploits d’Awuku et Faye. Les scènes de liesse devant le stade Alphonse-Massamba-Débat illustrent l’attrait d’une jeunesse qui s’identifie à des pairs encore scolarisés. Pour les techniciens locaux, l’enjeu est clair : pousser les établissements congolais à candidater aux prochaines phases régionales, où l’infrastructure sportive du pays pourrait être mise en lumière sans polémique.
Vers une diplomatie du ballon rond
Les historiens du sport soulignent que le football scolaire fut longtemps le laboratoire des indépendances africaines. En associant compétition, formation numérique et échanges culturels, la CAF réactive cette tradition sous une forme contemporaine. La présence de jeunes filles dans chaque délégation, la mise en avant des langues locales dans les cérémonies et la promotion des patrimoines culinaires régionaux participent d’une diplomatie douce où se négocient image de marque et soft power africain.
« Le terrain devient une salle de classe à ciel ouvert », résume l’enseignant-chercheur ivoirien Modibo Konaté, pour qui la stratégie actuelle pourrait réduire l’exil précoce des talents vers l’Europe en leur offrant des perspectives continentales crédibles.
Cap sur la CAN 2025, horizon d’opportunités
Pour Awuku et Faye, l’aventure ne fait que commencer. Les deux adolescents entreront dans le protocole officiel de la CAN 2025, côtoyant Sadio Mané ou Mohamed Salah. Ils documenteront leurs rencontres sur les plateformes de la CAF, alimentant un storytelling que les sponsors jugent précieux. La promesse est limpide : montrer à des millions de collégiens qu’un maillot national n’est pas un mirage inaccessible.
En filigrane, la CAF teste une méthode exportable : transformer chaque grande compétition en incubateur de talents et en forum éducatif. Si l’expérience marocaine se révèle concluante, elle pourrait s’étendre aux Jeux africains, voire aux tournois de disciplines émergentes comme le futsal ou le beach soccer, offrant ainsi à la jeunesse congolaise et continentale un horizon sportif pluriel et inclusif.