Un partenariat qui dépasse la ligne de touche
Scellé à Abidjan puis confirmé à Brazzaville, l’accord entre la Confédération africaine de football (CAF) et le groupe agro-alimentaire Danone marque une inflexion stratégique dans l’organisation des Coupes d’Afrique des nations 2024 et 2025. Loin de se limiter à la simple visibilité de logos, le partenariat ambitionne de mettre la nutrition au même rang que la performance sportive, convaincu que la victoire commence dans l’assiette. « Nos compétitions doivent refléter l’Afrique que nous voulons : énergique, saine et résolument tournée vers la jeunesse », a martelé le président de la CAF, le Dr Patrice Motsepe, lors de la signature officielle (CAF, 17 juillet 2024).
Objectifs nutritionnels à l’échelle continentale
Danone s’engage à fournir des produits laitiers enrichis à plus de 10 000 volontaires, 5 000 journalistes accrédités et l’ensemble des officiels, arbitres et délégations, soit un public potentiel estimé à plus de 25 000 personnes. Pour la multinationale, il s’agit d’illustrer son crédo de « santé par l’alimentation » en investissant le plus grand événement sportif d’Afrique. Dans un contexte où la malnutrition et le surpoids coexistent de manière paradoxale sur le continent, la mobilisation de l’industrie agro-alimentaire autour d’événements populaires pourrait constituer, selon plusieurs nutritionnistes africains, un levier inédit de prévention.
Les organisateurs précisent que la distribution ne sera pas limitée aux enceintes sportives. Des points de consommation seront installés dans les fan-zones, tandis que des ateliers de sensibilisation sur l’équilibre alimentaire, adaptés aux réalités locales, seront déployés dans les écoles primaires et secondaires partenaires du Championnat scolaire africain. Selon la CAF, près de 200 000 écoliers devraient être touchés par ces modules interactifs, conçus en collaboration avec l’Union africaine et l’UNICEF.
Le rôle stratégique des marques africaines
Le portefeuille africain de Danone – FanMilk, Dan’Up, Nutriday, Assiri – sera le fer de lance de l’opération. Ces marques, déjà bien implantées à Abidjan, Lagos ou Accra, entendent profiter de la médiatisation exceptionnelle de la CAN pour renforcer leur ancrage symbolique dans le quotidien des jeunes consommateurs. Danone promet néanmoins que les recettes resteront alignées sur les standards nutritionnels fixés par l’OMS, en particulier en matière de teneur réduite en sucres ajoutés. Cette exigence illustre la recherche d’un équilibre entre impératif commercial et responsabilité sociétale.
Pour la CAF, l’activation de marques issues de la région constitue aussi une revendication identitaire. « Le football africain ne doit pas être seulement un spectacle importé, mais un écosystème porteur de valeur ajoutée locale », souligne Veron Mosengo-Omba, secrétaire général de l’institution, qui voit dans ce partenariat « la preuve qu’un acteur global peut s’approprier les savoir-faire locaux sans les dénaturer ».
Impact attendu sur la jeunesse congolaise
Brazzaville, qui a accueilli la cérémonie d’annonce, voit déjà se profiler des retombées concrètes. Le ministère congolais de la Jeunesse et des Sports envisage de calquer les modules pédagogiques de la CAF sur son propre programme « Génération Santé », lancé en 2023 pour contrer l’essor alarmant du grignotage ultra-transformé chez les 15-24 ans. L’Institut national de recherche en sciences de la santé évoque, de son côté, un « laboratoire grandeur nature » pour tester l’évolution des habitudes alimentaires en milieu urbain.
Le gouvernement congolais mise également sur un effet d’entraînement économique. Les petites laiteries locales pourraient être associées en sous-traitance pour la logistique de stockage à température contrôlée, afin de garantir la disponibilité des yaourts dans les villes-hôtes des matches préparatoires. Cette synergie public-privé s’inscrit dans la droite ligne du Plan national de développement 2022-2026, qui érige la sécurité nutritionnelle en priorité transversale.
Finance, image et diplomatie sportive
Les montants exacts de l’accord demeurent confidentiels, mais des analystes basés à Johannesburg évaluent le ticket d’entrée de Danone à près de 20 millions d’euros pour les deux éditions. Au-delà de la visibilité médiatique, la marque cherche à capitaliser sur la dimension émotionnelle du football, véhicule de fierté nationale et de cohésion sociale. La CAF, elle, consolide son attractivité auprès des sponsors de rang mondial, élément crucial pour financer la professionnalisation de ses compétitions et améliorer les infrastructures.
Cette entente s’inscrit dans une diplomatie sportive où l’alimentation devient un soft power. À l’instar du Comité olympique international, la CAF aspire à faire du sport le vecteur d’un agenda global de développement durable. La participation d’une entreprise européenne, attentive à la voix de ses filiales africaines, envoie un signal de confiance aux marchés et renforce la place du continent dans les chaînes de valeur nutritionnelles internationales.
Vers une dynamique de santé publique durable
Pour plusieurs ONG brazzavilloises, l’enjeu majeur sera la pérennité des engagements après le coup de sifflet final de la CAN 2025. Danone affirme avoir prévu un mécanisme de suivi sur trois ans, piloté par un comité scientifique indépendant composé de pédiatres, de sociologues du sport et de représentants de la société civile. L’objectif déclaré est de vérifier que l’initiative ne se résume pas à un « événementiel vitaminé », mais qu’elle sème les germes d’une culture nutritionnelle ancrée.
En filigrane, la démarche réhabilite le rôle social du football africain, longtemps réduit à l’export de talents. Elle rappelle qu’un stade plein est aussi une agora pédagogique, capable de retravailler l’imaginaire collectif autour d’une alimentation saine. Si les promesses se concrétisent, la CAN 2024-2025 pourrait inaugurer un nouveau chapitre où la quête de la coupe s’accompagne d’une victoire plus discrète mais essentielle : celle de millions de repas mieux équilibrés sur tout le continent.