LEO et la nouvelle cartographie des transferts africains
À Brazzaville, les files d’attente devant les agences bancaires s’amenuisent au rythme des notifications qui crépitent sur les téléphones intelligents. Dans une ville où près de deux habitants sur trois disposent d’un appareil mobile à accès Internet, la dématérialisation des services financiers n’est plus un slogan, mais une réalité quotidienne. United Bank for Africa, déjà présente dans la capitale congolaise à travers un maillage d’agences et de solutions numériques, vient de franchir un palier déterminant avec son chabot d’intelligence artificielle baptisé LEO.
« Nous repoussons les frontières de la banque pour répondre aux besoins de l’Afrique d’aujourd’hui », a souligné Oliver Alawuba, directeur général du groupe, au moment d’annoncer l’extension des capacités de LEO. Concrètement, l’assistant virtuel, qui dialoguait jusqu’ici avec les clients pour les opérations courantes, peut désormais exécuter des paiements au-delà des frontières nationales sans rupture de chaîne ni conversion préalable en devise forte.
PAPSS, l’infrastructure qui fait tomber les frontières monétaires
Au cœur de cette innovation se trouve le Système panafricain de paiement et de règlement, plus connu sous son acronyme anglais PAPSS. Conçu en partenariat avec la Banque africaine d’import-export, l’outil permet de compenser en temps réel les flux financiers entre banques centrales africaines ayant validé le protocole. Le principe est simple : chaque transaction est liquidée dans la monnaie locale de l’émetteur et crédite instantanément le destinataire dans la sienne, sans passer par le dollar ou l’euro, traditionnellement intermédiaires.
Le gain est double : les délais se comptent en secondes et les coûts fondent, ce qui libère un espace nouveau pour de petites opérations auparavant jugées non rentables. Aux dires de Shamsideen Fasola, directrice du pôle banque de détail et numérique, « l’intégration complète de LEO à l’infrastructure PAPSS offre à nos clients la possibilité d’envoyer ou de recevoir des fonds sur l’ensemble du continent avec une sécurité et une confidentialité renforcées ».
Vers une inclusion financière renforcée à Brazzaville
Dans la capitale congolaise, où l’économie informelle représente encore un pan significatif des échanges, la perspective d’un transfert transfrontalier instantané fait figure d’accélérateur. Les vendeuses de tissus du marché Plateau-Ville, souvent contraintes à de longs trajets pour régler leurs fournisseurs de Cotonou ou d’Abidjan, pourraient désormais solder leurs factures depuis un simple salon de conversation sur smartphone. De même, les étudiants expatriés à Kinshasa verront leurs frais d’inscription acquittés en un clic, sans multiplier les retraits ni supporter d’interminables files d’attente aux bureaux de change.
UBA n’a pas manqué de calibrer son offre pour ce public urbain jeune et connecté. LEO, accessible via WhatsApp, Facebook Messenger et le portail web de la banque, converse en français et en anglais, bientôt, promet-on, en lingala et en kikongo. Le service est disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, avec un tarif de transaction inférieur aux commissions actuellement pratiquées par les opérateurs de transfert d’argent classique.
Implications pour les PME congolaises
Les petites et moyennes entreprises installées à Brazzaville pourraient être les premières bénéficiaires de cette révolution silencieuse. La réduction des frais de règlement et la disparition des délais de compensation libèrent de la trésorerie, un atout décisif pour des structures dont la marge financière reste étroite. Signe de l’intérêt suscité, la Fédération des entreprises congolaises a salué, dans un bref communiqué, « un mécanisme susceptible d’élargir l’horizon commercial des entrepreneurs locaux ».
À terme, l’outil devrait encourager la formalisation des échanges, facilitant la traçabilité exigée par les bailleurs internationaux. Les start-up fintech brazzavilloises y voient une passerelle idéale pour intégrer des solutions de micro-crédit ou de paiement électronique à leur offre, dessinant ainsi un écosystème où la banque traditionnelle et l’innovation numérique ne s’opposent plus mais se complètent.
Une dynamique régionale alignée sur la ZLECAf
Le lancement de LEO dans sa version transfrontalière s’inscrit dans la trajectoire dessinée par la Zone de libre-échange continentale africaine. En réduisant les barrières logistiques et financières, la ZLECAf ambitionne d’accroître de 52 % le commerce intra-africain à l’horizon 2035. L’apport de PAPSS et du chabot d’UBA vient donner un outil concret à cette politique, offrant aux opérateurs la simplicité d’un règlement instantané doublé d’une information en temps réel sur les flux.
À l’échelle sous-régionale, les autorités monétaires de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale saluent une avancée qui pourrait réduire la pression sur les réserves de change. Moins de conversions hors zone signifie davantage de liquidités domestiques, un paramètre qui n’échappe pas aux responsables de la régulation financière congolaise.
Perspectives et garde-fous réglementaires
Tout progrès technologique comporte sa part de risques. La Banque centrale du Congo a déjà indiqué qu’elle suivrait de près l’évolution des volumes traités par PAPSS afin de préserver la stabilité macro-financière. Des audits de cybersécurité seront menés trimestriellement pour s’assurer que l’intelligence artificielle de LEO ne soit pas détournée à des fins illicites.
En dépit de ces précautions, le sentiment dominant chez les analystes demeure optimiste. Les pionniers du mobile money rappellent qu’une réglementation proportionnée, adossée à des infrastructures résilientes, a souvent servi de tremplin à une adoption massive. Pour Brazzaville, ville connectée et carrefour naturel entre l’Afrique centrale et australe, l’instantanéité promise par LEO ouvre une ère où l’argent circule à la vitesse d’une conversation, sans perdre son identité locale ni dépendre de place financière extérieure.