Un retour applaudi sur les rives du fleuve Congo
La traditionnelle effervescence de l’aéroport Maya-Maya a pris, le 16 juillet, des allures de célébration académique. Sous les caméras des télévisions locales, Fatoumata Barry Marega, représentante de l’Unesco au Congo, accompagnait cinq lycéens et trois enseignants revenus d’un séjour d’immersion technologique en République populaire de Chine. Initié par le programme Unesco-Codemao, ce deuxième voyage d’étude illustre la volonté conjointe de l’organisation onusienne et des autorités congolaises de doter la jeunesse d’outils numériques de pointe, en cohérence avec le Plan national de développement 2022-2026 qui fait de l’économie numérique un axe prioritaire.
Dans l’enthousiasme des retrouvailles, les familles ont découvert des visages fatigués mais rayonnants. « Nous avons assisté à la naissance d’une passion », glissait, le regard ému, la professeure Abigaël Tchedy, invitée à braquer désormais ses cours de mathématiques sur les algorithmes. Le symbole est fort : Brazzaville s’approprie peu à peu un vocabulaire – réseaux neuronaux, apprentissage automatique, data-sets – longtemps confiné aux laboratoires étrangers.
Une immersion technique au cœur de Shenzhen
Le stage, hébergé dans l’écosystème high-tech de Shenzhen, s’est articulé autour d’ateliers intensifs conduits par les ingénieurs de Codemao, une jeune pousse réputée pour démocratiser le codage auprès des moins de vingt ans. Pendant huit jours, les participants ont exploré la logique des langages Python et Scratch, avant de plonger dans les arcanes de l’intelligence artificielle, notamment la conception de réseaux convolutifs et l’entraînement de modèles de traitement automatique du langage naturel.
À en croire Menga Iloki Bernadeth, élève en classe de première, l’expérience a rompu avec le schéma magistral traditionnel. « Chaque séance se concluait par un prototype fonctionnel », rapporte-t-elle. L’équipe congolaise a d’ailleurs décroché le prix de la créativité pour un chatbot bilingue capable de présenter, en lingala et en français, le patrimoine musical de la République du Congo. Un succès salué par les encadrants chinois qui, selon Fatoumata Barry Marega, « ont perçu la valeur ajoutée culturelle de nos apprenants ».
Des projets d’élèves qui résonnent localement
Les prototypes développés dans les salles de Codemao n’ont rien d’esbroufeux gadgets destinés à dormir sur un disque dur. Chris Moukana, enseignant d’informatique au lycée Chaminade, affirme qu’un volet de maintenance prédictive pour les installations d’eau potable a déjà été identifié. « Nos apprenants veulent modéliser des alertes de fuites à partir de capteurs low-cost, une réponse directe aux défis que rencontrent certains quartiers périphériques », détaille-t-il.
De son côté, la lycéenne Grâce Mapata travaille à l’adaptation d’un modèle de reconnaissance d’images sur smartphone pour aider les commerçantes du marché Total à inventorier leurs stocks. La pertinence sociale de ces projets nourrit l’espoir d’une appropriation rapide par les chefs d’établissement, d’autant que le ministère de l’Enseignement général et technique a récemment encouragé, dans une circulaire, « l’intégration progressive de modules de codage au second cycle ».
Vers une pédagogie active inspirée du modèle chinois
Le séjour a également révélé l’importance accordée par les écoles chinoises à l’apprentissage par la pratique. Les Congolais disent avoir été frappés par l’omniprésence des laboratoires ouverts dès le collège et la mise en valeur de l’erreur comme vecteur d’innovation. « Nous espérons reproduire ces micro-fab-labs avec du matériel accessible », projette l’enseignante Gisèle Ngouabi, soulignant le soutien déjà annoncé de la représentante de l’Unesco pour doter quelques lycées pilotes de micro-contrôleurs et d’imprimantes 3D.
La démarche s’inscrit dans la stratégie gouvernementale de digitalisation de l’éducation, incarnée par le projet École 4.0 porté par le ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique. En 2024, un budget spécifique de formation des formateurs, abondé par des partenaires internationaux, doit consolider ces premières initiatives sans peser sur les finances publiques.
Des impacts attendus sur l’écosystème numérique national
Au-delà des salles de classe, les décideurs voient dans l’initiative Unesco-Codemao un levier pour accélérer l’éclosion d’une filière locale de services numériques. Brazzaville, point de convergence des start-ups du pays, manquerait aujourd’hui de développeurs formés à l’IA. Les ambassadeurs fraîchement désignés s’engagent à animer des clubs parascolaires et à documenter leurs projets sur des plateformes open source hébergées sur des serveurs nationaux. Pour Franck Essanga, consultant au Réseau des acteurs du numérique congolais, « l’effet boule de neige pourrait se traduire, à moyen terme, par la création de micro-entreprises spécialisées dans la data ».
Cette perspective rejoint la feuille de route présidentielle qui ambitionne de porter la contribution de l’économie numérique à 10 % du PIB d’ici 2027. Les autorités congolaises misent sur la jeunesse urbaine, réputée agile et créative, pour bâtir des solutions locales adaptées aux réalités du pays, qu’il s’agisse de commerce, de santé ou d’agriculture urbaine.
La diplomatie scientifique se joue aussi en classe
En filigrane, le partenariat Unesco-Codemao participe d’une diplomatie scientifique qui valorise l’échange de savoirs autant que l’équipement matériel. Les organisateurs chinois ont multiplié les séances culturelles, invitant les élèves congolais à présenter danses traditionnelles et récits du royaume Téké, tandis que les élèves hôtes exécutaient des pièces d’opéra de Pékin. « Cette transversalité culturelle crée un climat de confiance propice aux transferts de compétence », analyse le politologue Martial Ngoila, convaincu que « l’internationalisation maîtrisée de notre système scolaire renforce notre souveraineté technologique ».
De retour à Brazzaville, les ambassadeurs numériques entendent rester fidèles à l’esprit de partage. Une plateforme en ligne, hébergée sous domaine .cg, doit voir le jour avant la rentrée pour mutualiser tutoriels, retours d’expérience et défis de programmation. Le cercle vertueux semble engagé : l’aventure de Shenzhen pourrait bien être le coup d’envoi, attendu depuis plusieurs années, d’une démocratisation de l’intelligence artificielle made in Congo.