Un festival résilient face aux défis économiques
Dans un environnement macro-économique encore marqué par les retombées de la crise sanitaire mondiale et la volatilité des cours pétroliers, la douzième édition du Festival panafricain de musique a choisi de conserver le cap. L’enveloppe budgétaire, certes resserrée, n’a pas entamé l’ambition des organisateurs : rappeler que le Congo, au cœur de la sous-région, possède une tradition d’hospitalité culturelle dont l’Afrique centrale se nourrit depuis près de trois décennies. « La contrainte financière nous oblige à l’inventivité plutôt qu’au renoncement », confie Hugues Gervais Ondaye, commissaire général de l’événement, déterminé à faire de cette édition 2025 une vitrine de sobriété créative.
Soutenue par le ministère de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, la programmation privilégie des formats scéniques épurés, sans superflu technologique coûteux, misant sur la proximité entre artistes et public. Cette orientation répond également à une injonction écologique croissante, la jeunesse brazzavilloise étant de plus en plus sensible à la question de la durabilité des grands rassemblements urbains.
Le Palais des congrès, écrin d’une communion artistique
Le choix du mythique Palais des congrès comme scène d’ouverture n’a rien du simple réflexe protocolaire. L’édifice moderniste, inauguré en 1980 et restauré en 2019, s’impose comme un symbole de résilience architecturale. Hier lieu de négociation politique, il se mue aujourd’hui en caisse de résonance culturelle, soulignant la continuité entre dialogue institutionnel et dialogue musical. Dès le premier soir, la salle de conférence, transfigurée par un dispositif scénographique tricolore – vert, jaune, rouge –, a vibré aux accents du tam-tam congolais, escorté par les balafons sahéliens et les guitares mandingues.
Cette ouverture a été saluée par Fatoumata Barry Marega, représentante résidente de l’Unesco, pour qui « l’alliance de la modernité architecturale et de la tradition sonore crée un pont symbolique entre patrimoine et futur ». La directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, s’est quant à elle invitée par message audio, rappelant que le Fespam reste « un laboratoire pan-africain où s’esquisse une diplomatie de la musique ».
Denis Sassou N’Guesso, garant symbolique de l’unité culturelle
La présence du chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, réaffirme la dimension stratégique de l’événement. En déclarant l’ouverture officielle du festival, le président a évoqué « un acte de foi en la capacité de la culture à fédérer les peuples, au-delà des contingences économiques ». Ce choix discursif, calculé, prolonge la doctrine congolaise d’un soft power assumé, où la musique devient vecteur d’influence régionale.
Les partenaires internationaux notent avec intérêt cette constance. Selon l’économiste culturelle française Marie-Odile Girard, « la stabilité politique permet d’offrir au Fespam un cadre logistique prévisible, condition sine qua non pour attirer mécènes et bailleurs multilatéraux ». L’argument vaut autant pour la visibilité diplomatique que pour la promotion d’emplois directs générés par la filière événementielle.
Créateurs du continent, ambassades sonores en scène
Le plateau 2025 convoque une trentaine de formations, issues de quinze pays, dont le Nigeria, l’Angola, le Rwanda et les Îles du Cap-Vert. L’édition couronne la montée en puissance des collectifs féminins, à l’image des Congolaises de Mabonji ou des Sénégalaises de Jigeen Drum Crew, porteuses d’un afro-beat engagé. L’Afrique australe, quant à elle, apporte ses chœurs a-cappella, rappelant que la diversité linguistique ne fait nullement obstacle à l’universalité du rythme.
La direction artistique a privilégié des résidences croisées, dispositif favorisant l’hybridation stylistique. Dans les coulisses, les saxophonistes kinois improvisent avec des percussionnistes malgaches, tandis que les rappeurs brazzavillois testent leurs flows aux côtés de producteurs électroniques marocains. Ce laboratoire spontané s’inscrit dans l’esprit fondateur du Fespam, né en 1996 avec la volonté de décloisonner les scènes nationales pour inventer un langage musical continental.
La jeunesse brazzavilloise, locomotive d’un public exigeant
Si le festival continue d’attirer des officiels, l’essentiel de sa vitalité provient désormais des étudiants et entrepreneurs culturels de Makélékélé, Poto-Poto ou Talangaï. Pour ces jeunes, souvent connectés, le Fespam constitue un laboratoire d’expérimentation sociale à ciel ouvert. « On vient écouter, mais aussi réseauter et créer de la valeur », souligne Josiane Ngouala, fondatrice d’une start-up de streaming local. Le festival a d’ailleurs réservé des créneaux de panels sur la monétisation numérique des œuvres, répondant aux impératifs d’une économie créative en mutation.
L’impact se mesure également sur les trottoirs de l’avenue Matsoua où, dès la tombée de la nuit, les échoppes de liboké et de saka-saka voient leur chiffre d’affaires se multiplier. La synergie entre offre artistique et micro-entrepreneuriat renforce l’image d’un Fespam catalyseur de liens entre culture et développement urbain.
Perspectives 2025 : vers une diplomatie culturelle renforcée
À l’issue de cette édition, les organisateurs envisagent la création d’un Observatoire panafricain des industries musicales, plateforme de veille destinée à partager données de marché, bonnes pratiques et innovations technologiques. L’initiative, soutenue par l’Union africaine, ambitionne de positionner Brazzaville en centre névralgique de la cartographie sonore continentale.
En attendant, les artistes poursuivront leur tournée dans les quartiers populaires, offrant des concerts gratuits afin d’élargir l’audience au-delà du cœur institutionnel. Ce prolongement traduit la volonté officielle de démocratiser l’accès à la culture, promesse régulièrement réaffirmée dans les discours gouvernementaux. Dans un monde où l’image de marque des nations se joue de plus en plus sur le terrain de la créativité, le Congo, par la voix polyphonique du Fespam, rappelle que la musique reste un langage diplomatique dont la portée dépasse largement les frontières de la scène.