Premières lignes d’une œuvre revisitée
Vingt ans après sa première parution aux Éditions L’Harmattan, le « Droit administratif congolais » du professeur Placide Moudoudou revient sous une couverture revue mais surtout enrichie, cette fois chez les Presses universitaires de Brazzaville. Les 457 pages de la nouvelle édition témoignent d’une ambition scientifique élargie : dépasser la vocation pédagogique du manuel originel pour devenir un véritable essai sur la transformation de la puissance publique dans un Congo immergé dans la vague démocratique initiée au tournant des années 1990.
Cet aggiornamento intellectuel survient à un moment où la discipline, longtemps perçue comme un simple prolongement du droit français, s’inscrit de plus en plus dans un dialogue avec les réalités locales. L’auteur, agrégé de droit public, professeur à l’Université Marien-Ngouabi et juge à la Cour constitutionnelle, rappelle d’emblée que le droit administratif se nourrit désormais d’un pluralisme de sources : constitution renforcée, normes communautaires issues de la CEMAC, jurisprudence interne en pleine maturité et doctrine foisonnante.
Mutation du rapport État-citoyen
Le prisme central du livre repose sur une question simple : comment concilier l’autorité indispensable à la préservation de l’ordre public et la protection des libertés dans un régime constitutionnalisé ? À l’en croire, la réponse se trouve dans une relecture de la trilogie service public, responsabilité administrative et contrôle juridictionnel. Là où l’ancien droit administratif se définissait par l’unilatéralité et la prééminence étatique, la version contemporaine met l’accent sur la qualité des requérants, désormais mieux informés et plus audacieux, et sur un juge administratif moins timoré.
Le chapitre consacré au contentieux retrace ainsi la montée en puissance de la jurisprudence de la Cour suprême puis de la Cour constitutionnelle, laquelle n’hésite plus à censurer certains excès de l’administration. L’auteur y voit la manifestation d’un État de droit en construction qui ne renie pas son autorité mais la tempère par la rationalité juridique.
Décentralisation : entre volontarisme politique et pragmatisme technique
La décentralisation constitue l’un des fils rouges de l’ouvrage. Placide Moudoudou souligne le volontarisme affiché par les pouvoirs publics congolais depuis la loi fondatrice de 2003 qui reconnaît aux collectivités locales une personnalité juridique et un patrimoine propre. Toutefois, il constate que la concrétisation sur le terrain dépend étroitement des capacités financières transférées et de la clarification des compétences.
Pour l’auteur, le défi réside moins dans la proclamation des principes que dans l’ingénierie institutionnelle. Il propose de s’inspirer des expériences camerounaises et sénégalaises tout en adaptant les mécanismes à la sociologie urbaine spécifique de Brazzaville et Pointe-Noire. La réflexion demeure prudente mais volontariste, un équilibre qui traduit l’esprit de la gouvernance prôné par les autorités : réforme progressive, accompagnement technique et maintien d’une cohérence étatique.
Service public : la modernité comme horizon
Le service public, thème emblématique du droit administratif, bénéficie d’un traitement renouvelé. L’auteur introduit la notion d’« exigence de performance », jusque-là rarement mobilisée dans les textes congolais. Il rappelle que les usagers, tout autant que les agents, revendiquent une administration plus performante dans la délivrance des titres fonciers, l’accès à l’eau et à l’électricité ou encore la gestion urbaine. Cette dynamique, déjà perceptible dans les politiques sectorielles impulsées par le gouvernement, conduit Moudoudou à analyser la contractualisation, les partenariats public-privé et la digitalisation des procédures comme des leviers d’efficacité.
Il note que la loi de 2019 sur la simplification administrative, souvent citée mais encore imparfaitement appliquée, ouvre un nouveau champ à la doctrine. La perspective comparative mobilise ici les exemples marocain et rwandais, preuve que le mouvement de modernisation n’est pas isolé mais s’inscrit dans une tendance continentale.
Responsabilité et transparence : un binôme structurant
L’ouvrage examine avec minutie la responsabilité de l’administration, domaine longtemps perçu comme accessoire. Le professeur retrace sa progression, de l’indemnisation des dommages causés par les travaux publics à la reconnaissance de la faute simple dans certaines activités de police. Il y décèle le signe que l’État accepte d’assumer ses manquements, attitude correspondant à une gouvernance axée sur la redevabilité.
Ce pan du droit suscite un vif intérêt chez les juristes praticiens car il rejoint les engagements internationaux du Congo relatifs à la bonne gouvernance. Le développement d’un contentieux indemnisateur équitable est présenté par Moudoudou comme le corollaire indispensable de la confiance entre l’administration et le citoyen.
Place de la doctrine et rayonnement académique
Au-delà de sa portée nationale, la nouvelle édition ambitionne un rayonnement régional. L’auteur, qui fut doyen de la Faculté de droit et président de la commission de rédaction de la Constitution actuelle, revendique une pédagogie attentive aux besoins des étudiants comme à ceux des praticiens. Les ajustements textuels, la bibliographie élargie et l’index thématique facilitent la navigation dans le volume.
Des universitaires étrangers, tels le professeur Marie-Odile Kouadio d’Abidjan ou le professeur Julien Bédel de Paris-Nanterre, saluent dans des recensions récentes la dimension comparative de l’ouvrage. Ils estiment qu’il participe à la constitution d’un corpus doctrinal propre à l’Afrique centrale, capable de dialoguer d’égal à égal avec les doctrines anglophones et francophones.
Perspectives pour la gouvernance publique
En refermant l’ouvrage, le lecteur mesure la distance parcourue par le droit administratif congolais depuis la période post-conférence nationale. Le glissement progressif d’une logique de commandement à une logique de service et de régulation souligne la volonté du législateur et des autorités de construire un État à la fois protecteur et garant des libertés.
Sans céder au triomphalisme, Placide Moudoudou insiste sur la nécessité d’un compagnonnage durable entre la doctrine, le juge et l’administration. Il y voit la condition pour relever les défis émergents : urbanisation accélérée, transition numérique et intégration sous-régionale. Son livre, par la richesse de ses analyses, fournit ainsi aux juristes, aux décideurs et aux citoyens un outil de réflexion et d’action au service d’une gouvernance responsable.