Un regard continental sur la diplomatie électorale
Au détour de la 1 288e réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, les projecteurs se sont braqués sur une ville qui, depuis deux ans, façonne discrètement l’avenir démocratique du continent : Rabat. Dans son rapport semestriel, le président de la Commission de l’UA, Mahmoud Ali Youssouf, a en effet salué la contribution du Royaume chérifien à la professionnalisation de l’observation électorale. L’initiative, démarrée en juin 2022, a déjà permis la certification de plus de trois cents agents issus de cinquante-deux États, dont nombre de jeunes cadres congolais. Elle s’inscrit dans cette diplomatie du savoir qui privilégie la mise en commun des compétences plutôt que la simple assistance, un ton que nombreux analystes qualifient de « soft power pédagogique ».
Le partenariat Rabat–UA décrypté par les analystes
Pour comprendre l’engouement suscité par ce quatrième cycle de formation, il faut remonter à l’accord signé entre le Département des affaires politiques, paix et sécurité de l’UA et la diplomatie marocaine. L’Université Mohammed VI Polytechnique, par l’intermédiaire de son Policy Center for the New South, fournit les infrastructures pédagogiques tandis que l’Union mobilise ses experts et affine le contenu méthodologique. « Nous avons voulu dépasser le simple manuel d’observateur ; il s’agit d’intégrer des études de cas, des simulations en temps réel et des modules sur la prévention des violences électorales », confie Dr Yasmine El Moutawakkil, coordinatrice scientifique du programme. Cette hybridation d’expertises confère au cursus une légitimité rarement égalée, à tel point que certains l’évoquent déjà comme la future référence panafricaine en matière d’audit des scrutins.
Quelles répercussions pour les processus congolais ?
Brazzaville observe avec intérêt ces avancées. Dans les couloirs du ministère congolais de l’Intérieur, l’on rappelle que cinq fonctionnaires électoraux ont intégré la promotion d’avril 2025. « Ils reviennent non seulement avec des compétences techniques, mais aussi avec un réseau qui couvre l’ensemble des sous-régions », souligne M. Florent Mihindou, directeur général des affaires politiques. Le Congo-Brazzaville, souvent cité pour sa capacité à organiser des scrutins apaisés, voit dans ce programme une opportunité de consolider ses standards. Les modules sur la veille numérique et la cartographie des incidents devraient, selon les autorités, accélérer la modernisation du centre national de gestion des données électorales.
La place des femmes : entre quotas et réalités
Le rapport de l’UA met un accent particulier sur la représentation féminine : 175 femmes formées en moins de trois ans, un chiffre salué comme un jalon important, même si les disparités persistent. Au séminaire thématique consacré à la gouvernance inclusive, tenu en marge de la formation, les participants ont adopté l’« Appel à l’action de Rabat » en cinq axes, prônant notamment des quotas de genre au sein des missions d’observation et la création d’unités d’intervention contre les violences sexistes. À Brazzaville, la sociologue Sylvie Ngakala y voit « un levier pour libérer la parole des électrices tout en sécurisant leur engagement sur le terrain ». Elle rappelle toutefois que les quotas n’ont de sens que s’ils s’accompagnent de budgets dédiés et d’indicateurs d’évaluation clairs.
Vers une veille citoyenne renforcée en Afrique centrale
Au-delà du Maroc, c’est toute l’Afrique centrale qui pourrait bénéficier d’une montée en compétence de ses observateurs. Le Centre africain pour la résolution constructive des conflits estime que la région, marquée par des enjeux transfrontaliers, aura besoin de près de mille observateurs certifiés d’ici à 2030 pour couvrir l’ensemble des cycles électoraux nationaux et locaux. Dans cette perspective, la coopération Sud-Sud portée par Rabat résonne comme une réponse pragmatique à une exigence de plus en plus pressante : celle d’une veille citoyenne capable de prévenir les tensions plutôt que de les constater. « La qualité de nos institutions passe par la qualité du regard posé sur elles », rappelle le constitutionnaliste congolais Idriss Bemba, pour qui l’enjeu n’est pas de déplacer la souveraineté, mais de la conforter par un contrôle professionnel, crédible et transparent.