Un demi-siècle de dialogue diplomatique
Il se dégage, dans les salons lambrissés du ministère congolais des Affaires étrangères, un parfum de constance : depuis l’aube des indépendances, Le Caire et Brazzaville ont choisi de converser plutôt que de s’ignorer. Le 18 juillet, l’ambassadrice d’Égypte, Imane Yakout, a rappelé que cette amitié institutionnelle avait pris racine « dans l’enthousiasme des années 60 et la quête d’affirmation souveraine ». En présence de Jean Claude Gakosso, elle a salué « la capacité des deux capitales à harmoniser leurs agendas, au gré des mutations régionales ». L’évocation de la révolution du 23 juillet 1952 ajoute une dimension symbolique : une émancipation qui fait écho aux aspirations panafricaines partagées.
La coopération sécuritaire, pivot discret
Si l’actualité brazzavilloise privilégie souvent l’économie, nombre d’initiés savent que le pilier sécuritaire demeure central. Chaque année, l’Agence égyptienne de partenariat pour le développement ouvre ses bancs à des stagiaires congolais issus de la gendarmerie, de l’armée de l’air ou de la cybersécurité. La diplomate égyptienne rappelle que ces formations favorisent « une lecture commune des menaces transfrontalières », notamment celles liées à la piraterie dans le golfe de Guinée ou à la criminalité de réseau. En retour, les autorités congolaises valorisent ce transfert de compétences qui, tout en demeurant discret, stabilise un environnement régional parfois sous tension.
Les échanges économiques en mutation verte
Au-delà des parades protocolaires, les chiffres tracent une dynamique : les échanges commerciaux ont progressé de manière régulière ces dix dernières années, portés par les matériaux de construction, les produits pharmaceutiques et l’ingénierie hydraulique. Imane Yakout indique toutefois que « la prochaine décennie sera marquée par l’économie bas carbone ». Inspirée par la « Vision Égypte 2030 », la partie égyptienne propose un partage d’expertise dans les énergies renouvelables, tandis que Brazzaville explore la valorisation durable de son immense couvert forestier. Les discussions récentes sur des financements mixtes pour des fermes solaires pilotes dans la cuvette congolaise témoignent de cet alignement vers une croissance respectueuse du climat.
La culture et la formation comme trait d’union
Dans les couloirs de l’Institut Culturel Égyptien de Brazzaville, l’arôme du café à la cardamome se mêle aux rythmes urbains de Poto-Poto. Ateliers de calligraphie, projections de cinéma panafricain et bourses universitaires viennent nourrir cette proximité. Plus d’un millier d’étudiants congolais auraient, selon l’ambassade, foulé les amphithéâtres du Caire en deux décennies. « La langue arabe devient un outil professionnel pour nos jeunes, au-delà du simple patrimoine littéraire », témoigne Stéphane Ngouabi, doctorant en relations internationales. Par effet miroir, la Semaine du Livre congolais organisée l’an passé sur les rives du Nil a offert au public cairote une plongée dans la sape et les chroniques urbaines de Pointe-Noire.
Regards croisés sur les défis continentaux
Ce dialogue bilatéral se révèle d’autant plus précieux qu’il s’inscrit dans un contexte continental volatil. Hôte de la COP27, l’Égypte a porté la question des pertes et dommages subis par les États vulnérables ; le Congo, lui, défend depuis la tribune onusienne la protection du Bassin du Congo, deuxième poumon écologique de la planète. Convergence, donc, sur l’idée que développement et résilience climatique doivent avancer de concert. Sur le terrain du maintien de la paix, Le Caire et Brazzaville s’accordent également : « La stabilité régionale est un bien commun qu’il faut cultiver avec patience et diplomatie », résume un haut fonctionnaire congolais.
Une perspective partagée de modernisation
En filigrane de ces chantiers se dessine une volonté assumée de modernisation. La centrale nucléaire d’El-Dabaa, la ville nouvelle d’El Alamein ou encore le projet de Ras El Hekma illustrent l’ambition égyptienne de diversifier son économie. Leur portée est suivie avec intérêt à Brazzaville, où l’on s’interroge sur les déclinaisons possibles dans la zone économique spéciale de Maloukou. Les diplomates congolais avancent l’idée d’un corridor logistique reliant Port-Said et Pointe-Noire, consacré à la transformation des ressources locales. Un horizon qui, s’il se concrétise, consoliderait l’axe afro-africain voulu par les deux chefs d’État.
Cap sur la décennie 2030
À l’issue de la célébration du 73ᵉ anniversaire de la fête nationale égyptienne, les regards se sont tournés vers les dix prochaines années. Les deux capitales entendent acter un partenariat plus ramifié, capable d’embrasser la finance verte, la télémédecine ou encore la formation aux métiers du numérique. Dans un monde fragmenté, la pérennité de cette alliance tiendra à sa capacité d’adaptation. Or, souligne Imane Yakout, « quand deux nations placent la souveraineté et le progrès partagé au cœur de leur agenda, elles tracent une voie capable d’inspirer le continent ». Une formule qui résonne comme le fil directeur de cette coopération, discrète peut-être, mais indéniablement féconde.