Une commémoration chargée de symboles diplomatiques
Au soir du 18 juillet, les colonnes de marbre du siège de la chancellerie égyptienne à Brazzaville se sont illuminées aux couleurs du Nil pour célébrer le 73ᵉ anniversaire de la Révolution du 23 juillet 1952. Face à un parterre de décideurs congolais, dont le ministre des Affaires étrangères Jean-Claude Gakosso, l’ambassadrice Imane Yakout a rappelé « l’arc historique » qui relie Le Caire et Brazzaville depuis les premières heures de l’indépendance congolaise. L’atmosphère, ponctuée de références à la souveraineté et à la justice sociale, a résonné comme une mise en abyme des aspirations communes nées sur les rives du Nil et du fleuve Congo.
Des racines panafricaines forgées dans l’ère des indépendances
Dès 1960, l’Égypte nassérienne, alors figure de proue du mouvement des non-alignés, avait apporté soutien politique et expertise technique au jeune État congolais. Cette solidarité originelle, que Brazzaville a régulièrement saluée, s’est consolidée sous les mandats du président Denis Sassou Nguesso, fervent promoteur d’un multilatéralisme africain. La réciprocité a souvent été de mise : le Congo a appuyé la candidature égyptienne à la présidence de l’Union africaine en 2019 tandis que Le Caire a soutenu la création de l’Agence congolaise de la transition écologique, illustrant une diplomatie concertée plutôt qu’unilatérale.
Le commerce comme colonne vertébrale d’un axe Sud-Sud
Si la balance commerciale demeure modeste – moins de 70 millions de dollars en 2023, selon le Comité congolais des statistiques du commerce extérieur –, la tendance est à la diversification. Le Caire multiplie les missions d’affaires, misant sur les BTP, les engrais phosphatés et la mécanique légère, quand Brazzaville aiguise son positionnement sur le bois transformé et l’agro-industrie. L’Agence égyptienne de partenariat pour le développement soutient par ailleurs des dizaines de PME congolaises via des lignes de crédit préférentielles, un mécanisme qui s’articule avec le Plan national de développement 2022-2026 prôné par le gouvernement congolais.
Sécurité et défense : des formations qui structurent la confiance
L’un des axes les plus sensibles est la coopération sécuritaire. Chaque année, une centaine d’officiers congolais rejoignent les bancs de l’Académie militaire d’Hélouan pour suivre des cursus allant de la cybersécurité à la stratégie navale, un apport que les états-majors de l’armée congolaise jugent « inestimable » (Forces armées congolaises). Les exercices conjoints, organisés sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, renforcent cette proximité opérationnelle et contribuent à la stabilisation sous-régionale, sans heurter la souveraineté nationale, principe auquel Brazzaville demeure attachée.
Échanges culturels : le patrimoine comme passerelle générationnelle
Au-delà des uniformes et des contrats, les échanges d’étudiants et d’artistes confèrent au partenariat une dimension organique. Les universités de Mansoura et de Marien-Ngouabi ont signé récemment un protocole d’équivalence des diplômes, tandis qu’une troupe de danse traditionnelle congolaise a foulé la scène de l’Opéra du Caire à l’occasion du Festival panafricain des arts vivants. Ces initiatives participent à l’« urbanité partagée » que recherchent les nouvelles classes créatives de Brazzaville, désireuses d’élargir leurs horizons sans se déconnecter de leur identité.
Transition verte : l’expérience égyptienne au service des ambitions congolaises
L’ambassadrice Yakout a mis en avant les méga-projets du Caire, de la centrale nucléaire d’El-Dabaa à la ville intelligente d’El Alamein, pour illustrer l’audace industrielle égyptienne. Le Congo, qui s’est engagé à réduire de 32 % ses émissions de CO₂ d’ici 2030, observe avec intérêt ces modèles de diversification énergétique. Des discussions préliminaires évoquent un transfert de savoir-faire vers la zone économique spéciale de Pointe-Noire, appelée à devenir un hub d’énergies propres. L’alignement n’est pas fortuit : Brazzaville prépare l’émission d’obligations vertes, et Le Caire dispose d’une ingénierie financière déjà rodée sur ce créneau.
Agendas climatiques africains : convergences stratégiques
Capitale de la COP27, l’Égypte a défendu avec vigueur la création d’un fonds dédié aux pertes et dommages subis par les États vulnérables, une revendication que le Congo pousse également depuis le Sommet des trois bassins forestiers tenu à Brazzaville en 2023. Les deux chancelleries se concertent désormais dans la perspective de la COP29 afin d’obtenir un financement plus structuré de la préservation du massif forestier du bassin du Congo, réserve mondiale de carbone. L’axe Brazzaville-Caire se dessine ainsi comme un lobby écologique inédit à l’échelle continentale.
Perspectives : un tandem au service d’un multilatéralisme pragmatique
Alors que les redéfinitions géopolitiques s’accélèrent, l’entente entre Brazzaville et Le Caire démontre qu’un partenariat Sud-Sud peut conjuguer mémoire historique, intérêts économiques et responsabilité climatique. Loin des effets d’annonce, les deux capitales misent sur des projets tangibles, de la formation militaire aux chaînes de valeur vertes, en passant par la diplomatie culturelle. Aux yeux des observateurs, cette relation apporte au Congo une ouverture vers le bassin méditerranéen, tout en confortant l’Égypte dans son rôle de passerelle entre Afrique et Moyen-Orient. Un réalisme assumé qui traverse les décennies et pourrait, à terme, consolider un véritable corridor afro-arabique centré sur la jeunesse urbaine et l’innovation.