Un festival continental sous le signe de la résilience
Le rideau s’est levé au Palais des Congrès de Brazzaville sur la 12e édition du Festival panafricain de musique, lorsque le chef de l’État a solennellement déclaré l’évènement ouvert. Devant un parterre composé de délégations africaines, d’artistes, de diplomates et d’observateurs internationaux, cette phrase d’apparence protocolaire a pris des airs de manifeste : le Congo entend maintenir vivante sa grande fête des rythmes malgré une conjoncture exigeante. Fondé en 1996, le Fespam a connu des suspensions et des redémarrages, mais il s’est toujours relevé, fidèle à son ambition de refléter l’âme sonore du continent.
Brazzaville, carrefour historique des mélodies africaines
Au fil des éditions, la capitale congolaise s’est forgé la réputation de capitale symbolique de la rumba, du soukous, du makossa ou encore de l’afro-jazz. Les archives rappellent que Miriam Makeba, Manu Dibango ou Papa Wemba y ont jadis communié avec le public local, inscrivant la ville sur la carte mondiale des scènes identitaires. Réunir aujourd’hui quatorze pays, même en effectif resserré, prolonge cette tradition d’hospitalité esthétique. « Le Fespam revient avec ses voix, ses couleurs, ses scènes et ses idées », a rappelé la ministre de la Culture, Lydie Pongault, soulignant l’importance du festival comme espace où se tressent mémoire artistique et diplomatie culturelle (allocution d’ouverture, 19 juillet 2025).
Le numérique, nouvelle partition de l’économie musicale
Le thème retenu, « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », résonne particulièrement dans un pays où la jeunesse constitue la majorité démographique et où l’accès aux plates-formes de streaming progresse. Pour le commissaire général Hugues Ondaye, il s’agit de « transformer la créativité en valeur ajoutée mesurable », autrement dit de passer d’une économie fondée sur le spectacle vivant à un modèle combinant performances scéniques, diffusion en ligne et monétisation transfrontalière. Les conférences organisées en marge des concerts abordent ainsi la gestion des droits d’auteur, la protection des catalogues locaux et l’importance des incubateurs technologiques, autant de clés pour éviter l’exode des talents.
Un format réduit mais une ambition intacte
L’équation budgétaire demeure serrée : la baisse des recettes pétrolières et les priorités sociales ont conduit les organisateurs à privilégier une édition qualifiée de « compacte ». Les loges, les scènes et les programmes ont été rationalisés, mais l’esprit de fête se diffuse dans les rues adjacentes, où les fanfares improvisent des intermèdes et où les vendeurs de disques compacts cohabitent avec les start-ups proposant des codes QR pour télécharger des EP. Cette hybridation témoigne d’une recherche d’efficacité et de modernité que de nombreux artistes saluent. « Nous jouons moins de dates, mais nous touchons en direct nos fans en Côte d’Ivoire ou au Cap-Vert grâce au livestream », résume la chanteuse Nayah, invitée phare de la soirée inaugurale.
La création locale en quête de retombées durables
Au-delà de l’instant festif, le gouvernement espère que la visibilité internationale du Fespam incitera les investisseurs à soutenir la chaîne de valeur musicale : studios d’enregistrement, écoles d’ingénierie sonore, tournées régionales et exportation de contenus. Le ministère en charge des PME a d’ailleurs annoncé un fonds de garantie ciblé pour les entrepreneurs culturels, mesure accueillie favorablement par les acteurs professionnels. Dans les couloirs du Palais des Congrès, il se murmure que plusieurs compagnies télécoms préparent des contrats de sponsoring intégrant un volet data subventionné, manière de démocratiser l’écoute légale de musique congolaise sur smartphone.
Une diplomatie des rythmes au service de la jeunesse
Si la dimension artistique reste la plus visible, le Fespam joue également un rôle de soft power. En ces temps où les enjeux sécuritaires et climatiques saturent l’agenda continental, la musique offre un langage commun susceptible de renforcer les solidarités régionales. Les jeunes Brazzavillois, nombreux à fréquenter les ateliers de beat-making organisés en marge des concerts, mesurent à quel point la maîtrise d’un logiciel de production peut valoir passeport professionnel. L’écho médiatique du festival, amplifié par les chaînes internationales et les influenceurs culturels, contribue enfin à valoriser l’image d’un Congo capable d’accueillir des manifestations panafricaines d’envergure et de dialoguer avec l’économie créative globale.
Vers une nouvelle ère pour le Fespam
Tandis que les notes de rumba se mêlent aux pulsations électroniques, la clôture programmée dans une semaine promet déjà un bilan dense. Les organisateurs veulent tirer des enseignements d’une édition placée sous le signe de la sobriété inventive : mutualisation des scènes, diffusion numérique et gouvernance inclusive. Les partenaires internationaux, eux, observeront la capacité du festival à convertir son prestige symbolique en partenariats pérennes. Pour Brazzaville, capitale d’un État désireux de conjuguer patrimoine et innovation, l’enjeu dépasse la simple célébration : il s’agit d’installer durablement la musique au cœur du développement et de faire chanter l’avenir, malgré les contraintes, sur une portée élargie.