Brazzaville, capitale vibrante d’un continent musical
De la prairie battue par les vents du Pool Malebo aux faubourgs urbains du plateau des Quinze-Ans, Brazzaville bruisse déjà de mille résonances annonçant la douzième édition du Festival panafricain de musique. Dans cette cité fluviale où, de manière récurrente, les sons des fanfares militaires croisent ceux des orchestres de rumba, le Fespam s’est imposé comme un rendez-vous artistique et diplomatique de première importance. Derrière la féerie des concerts et la débauche de tenues chamarrées, l’événement nourrit une ambition plus profonde : instaurer un dialogue organologique continental, en dotant le Musée panafricain de la musique d’objets authentiques que le temps menaçait de réduire au silence.
Cinq nations, sept pièces et une symbolique partagée
L’arrivée, le 21 juillet, de nouvelles pièces venues de la République démocratique du Congo, de la Côte d’Ivoire, de la Mauritanie, du Rwanda et du Sénégal, confère à la salle principale du musée l’allure d’un cabinet de curiosités sonores. Chaque instrument, soigneusement emballé puis dévoilé sous les flashs, a été accompagné d’un récit passionné. « Le goni n’est pas qu’une flûte ; il porte la parole des griots, il est l’écho de nos lignages », a rappelé, la voix chargée d’émotion, Abdou Sambadjiata, directeur général de la Culture de Côte d’Ivoire. Non loin, Vienvona Bobajidou, haute responsable mauritanienne, a précisé que l’inanga, garderesse des cérémonies d’intronisation, « convoque la mémoire des anciens et recommande le respect des aînés ». Le pendé congolais, le tambour sénégalais, l’umuduri rwandais ou encore l’inyahura, xylophone aux lames d’essences rares, composent une véritable cartographie des imaginaires africains.
Le musée, trait d’union entre conservation et innovation
Ouvert au public en 2008 dans l’enceinte historique de l’École nationale des beaux-arts Paul-Kamba, le Musée panafricain de la musique matérialise une utopie formulée dès le lancement du Fespam au milieu des années 1990. Sa démarche, saluée par les musicologues belges du projet Prima, repose sur la numérisation intégrale des collections, offrant au grand public comme aux chercheurs l’accès à des vidéos, relevés acoustiques et notices historiques. Vingt-et-un pays ont déjà participé à ce chantier patrimonial, du Ghana à la Libye, en passant par l’hôte congolais. Pour Hugues Gervais Ondaye, commissaire général du festival, l’objectif est clair : « Il s’agit de créer un conservatoire vivant où transmission rime avec innovation, sans céder aux sirènes du folklore figé ».
Une diplomatie culturelle au service du panafricanisme
La cérémonie de réception, conduite par la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, Marie Hélène Lydie Pongault, s’est apparentée à un exercice de diplomatie feutrée. Saluant « la générosité des États frères et la détermination du Congo à protéger les singularités qui composent l’âme africaine », la ministre a insisté sur la vocation stratégique du musée : consolider l’influence culturelle de Brazzaville, ville qui fut, il y a plus de huit décennies, capitale de la France libre, et qui aspire aujourd’hui à redevenir un phare artistique régional. Dans cette perspective, le gouvernement congolais multiplie les partenariats avec les institutions internationales spécialisées, renforçant ainsi l’attractivité du pays et la mobilité de ses créateurs.
Vers de nouveaux horizons sonores
Au-delà de l’éclat protocolaire, l’apport de ces sept pièces tranche avec la fragilité matérielle des instruments anciens souvent victimes d’un climat équatorial exigeant. Les conservateurs brazzavillois, guidés par Honoré Mobonda, ont engagé un programme de restauration reposant sur l’expertise de l’Institut national de recherche et d’action pour la culture, tandis que les maîtres-luthiers locaux transmettent leurs savoirs aux étudiants des Beaux-arts. Cette chaîne de compétences, encouragée par les autorités nationales, vise à garantir que le canto populaire, qu’il se nomme rumba, mbalax ou zaouli, continue de dialoguer avec les sons plus confidentiels de la tradition villageoise. Dans un contexte mondial où la patrimonialisation peut parfois rimer avec marchandisation, le musée brazzavillois avance prudemment, préférant la valorisation à la spéculation.
La note finale d’un festival en devenir
Lorsque les projecteurs du Fespam 2025 s’éteindront le 26 juillet, il restera la vibration intime de ces instruments désormais mis à l’abri des vicissitudes du temps. Ils rappelleront aux visiteurs qu’un continent ne se raconte pas seulement par des chiffres de croissance ou des indicateurs géopolitiques, mais par la résonance immatérielle de ses cordes, de ses peaux et de ses ventres de bois. Brazzaville, par la seule magie de cet échange, confirme sa vocation de laboratoire où se réinventent les solidarités africaines, dans un esprit d’ouverture qui rejoint les ambitions de la diplomatie congolaise. C’est là sans doute le plus précieux des héritages : la conscience partagée que la musique, avant d’être un divertissement, demeure une science de l’âme et un pacte tacite entre les peuples.