Une opération volontaire sous haute coordination
Ce lundi matin à l’aéroport Maya-Maya, l’air était à la fois chargé d’émotion et de pragmatisme. Cent onze ressortissants centrafricains, installés depuis plus d’une décennie dans les localités périphériques de Brazzaville et d’Impfondo, ont embarqué vers Bangui à bord de deux avions du Service aérien humanitaire des Nations unies. Il s’agissait d’un rapatriement volontaire, piloté par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, soutenu par le Programme alimentaire mondial et facilité par les ministères congolais de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires sociales.
Cette initiative s’inscrit dans la politique d’asile généreuse que la République du Congo applique depuis 2013. Sur les 72 271 personnes sous mandat onusien recensées au 30 juin 2025, près de la moitié provient encore de la République centrafricaine. Brazzaville maintient pour ces hôtes un statut prima facie, gage de protection immédiate, tout en ouvrant la porte, lorsqu’ils l’expriment, à un retour digne et sécurisé dans leur pays d’origine.
Les défis logistiques d’un couloir aérien éphémère
La réouverture en 2024 du pont aérien Unhas au Congo a constitué un tournant opérationnel majeur. Les avions affrétés transportent non seulement des passagers, mais également des rations sèches, des kits d’hygiène et du matériel médical à destination de camps éloignés, difficilement accessibles par route lors de la saison des pluies. Sur les six rotations effectuées depuis décembre, trois ont permis un rapatriement direct vers Bangui, évitant ainsi aux voyageurs de franchir de périlleux corridors routiers traversant la Sangha et la Lobaye.
Le caractère éphémère de ce couloir humanitaire est néanmoins rappelé avec lucidité par les partenaires. «Sans un nouvel apport financier, nous suspendrons nos vols dès le prochain trimestre», confiait, au pied de la passerelle, Alice Bisimwa, cheffe de bureau adjointe du Pam à Brazzaville. Elle souligne que le coût du kérosène, conjugué à la montée des besoins ailleurs dans le monde, exerce une pression accrue sur la trésorerie des agences. Pour l’heure, le gouvernement congolais a mis à disposition les facilités aéroportuaires et les exemptions douanières nécessaires, limitant ainsi la charge budgétaire des Nations unies.
Le rôle moteur de Brazzaville dans la stabilité régionale
Au-delà de la logistique, cet épisode illustre une lecture plus large de la doctrine congolaise de la stabilité régionale. En privilégiant la concertation avec Bangui et les institutions multilatérales, Brazzaville défend la conviction que la sécurité de son territoire débute aux frontières de ses voisins. Selon une source diplomatique proche du ministère des Affaires étrangères, «chaque réfugié qui rentre chez lui par choix, accompagné et préparé, diminue d’autant le risque de trafic transfrontalier et renforce la confiance entre États».
Le Président Denis Sassou Nguesso, souvent qualifié de doyen des médiateurs d’Afrique centrale, a rappelé à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés que «la solidarité n’est pas une option mais une politique publique». Ses propos résonnent aujourd’hui dans les couloirs de l’aéroport de Bangui M’Poko, où les rapatriés reçoivent une allocation en espèces destinée à couvrir trois mois de frais essentiels. Cette enveloppe, calibrée selon les standards du Hcr, est complétée par un module de soutien psychosocial et par des séances d’orientation professionnelle, afin d’éviter le cycle retour-exil bien documenté par les organisations de terrain.
Perspectives pour une solidarité renouvelée
L’avenir du dispositif dépendra d’un subtil équilibre financier, politique et technique. Le Hcr anticipe, pour 2025, une augmentation des demandes d’assistance dans le nord-du-Congo, en raison des effets croisés du changement climatique et de la volatilité des prix alimentaires. D’ores et déjà, les administrations locales, appuyées par le Programme des Nations unies pour le développement, identifient des pistes de renforcement des systèmes productifs villageois afin que le retour des réfugiés n’accroisse pas la pression sur un tissu économique fragile.
Du côté des rapatriés, les premiers récits affluent. Augustine M., 34 ans, raconte au téléphone sa «joie prudente» d’avoir retrouvé le quartier Boy-Rabe après douze ans d’absence. Ce témoignage, relayé par la radio Ndeke-Luka, rappelle que toute politique de retour doit s’accompagner d’investissements structurels dans la paix et les services sociaux de base, faute de quoi l’enthousiasme initial risque de se diluer. Pour l’heure, l’action conjointe du Congo, du Hcr et du Pam s’affirme comme une matrice de référence, louée à Genève pour son respect scrupuleux du volontariat et la qualité de l’accueil réservé aux passagers d’un aller simple vers l’espoir.
En scellant ces deux convois, Brazzaville confirme ainsi sa capacité à articuler humanitaire et diplomatie, dans une région où les frontières demeurent poreuses et les solidarités essentielles. La chaîne opérationnelle restera suspendue aux arbitrages budgétaires internationaux, mais l’expérience acquise, les partenariats consolidés et la volonté de préserver la dignité des personnes déplacées forment un socle robuste. Il appartiendra désormais aux bailleurs, aux institutions régionales et aux communautés concernées de transformer ce pont aérien temporaire en passerelle durable vers la stabilité.