Aux sources d’une mémoire partagée
Il est des visages que la pierre consacre mieux que de longs discours. Celui du sergent sénégalais Malamine Camara s’apprête à rejoindre, sous forme de buste, l’enceinte solennelle du mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza. En recevant l’ambassadeur du Sénégal, Ousmane Diop, la directrice générale du site, Bélinda Ayessa, a ouvert un nouveau chapitre dans la valorisation d’un pan fondateur de l’histoire de Brazzaville. L’entretien du 19 juillet, officiellement consacré aux synergies culturelles entre Dakar et Brazzaville, a très vite convergé vers la nécessité de matérialiser, dans ce haut lieu patrimonial, la mémoire du compagnon d’armes de l’explorateur franco-italien.
Un mémorial devenu creuset identitaire
Inauguré en 2006 grâce à l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, le mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza s’élève aujourd’hui comme un repère urbain autant qu’un repère de conscience historique. Les visiteurs, congolais comme étrangers, y parcourent les galeries retraçant les multiples expéditions qui, à la fin du XIXᵉ siècle, dessinèrent les contours de la future capitale. « La restauration de cette page d’histoire est un acte de lucidité collective », confie un conservateur du site, rappelant que les restes mortels de l’explorateur y reposent selon son vœu, scellant ainsi un dialogue permanent entre le passé colonial et la quête d’un récit national apaisé.
Le rôle décisif de Malamine Camara
Derrière l’aura de Pierre Savorgnan de Brazza, l’ombre solide du sergent Malamine Camara se dessine comme celle d’un stratège et d’un médiateur. Né vers 1850 à Saint-Louis du Sénégal, ce sous-officier de l’infanterie coloniale rejoint l’expédition vers le haut-Congo en 1880. Ses qualités de négociateur, alliées à une connaissance fine des langues et des us et coutumes locales, lui valent de tenir le premier poste militaire sur les berges opposées de l’actuelle Kinshasa. Sa résistance, rapportent les chroniques, dissuada l’explorateur Henry Stanley de franchir le fleuve une année durant, préservant ainsi l’existence distincte de la future Brazzaville. En janvier 1886, la mort l’emporte à Dakar, mais son legs demeure : sans lui, le tracé géopolitique du pool Malebo eût pu être tout autre.
Un projet porté par la diplomatie sénégalaise
« Je voudrais rendre hommage au Sénégalais, au Congolais, à l’Africain que fut Malamine Camara », déclare, la voix empreinte d’émotion, l’ambassadeur Ousmane Diop au terme de sa visite guidée du premier module du mémorial. Pour le diplomate, installer un buste à l’effigie de ce compatriote équivaut à replacer la coopération Sud-Sud dans le registre de la reconnaissance historique. Selon nos informations, les services de l’ambassade finalisent, en lien avec les autorités congolaises, une maquette en bronze conçue par un atelier dakarois réputé. Les experts en conservation estiment que l’œuvre pourrait rejoindre l’esplanade centrale dès le premier trimestre de l’année prochaine, sous réserve des derniers arbitrages logistiques.
Un soutien présidentiel assumé
Le projet bénéficie d’un appui explicite du chef de l’État congolais. À en croire l’ambassadeur Diop, Denis Sassou Nguesso, lors de la présentation des lettres de créance, aurait personnellement évoqué le rôle méconnu du sergent et encouragé la démarche mémorielle. Cette attention présidentielle s’inscrit dans la constance d’une politique culturelle qui, depuis deux décennies, consacre une part significative des budgets publics à la restauration des sites historiques et à la mise en valeur des figures panafricaines. À Brazzaville, l’on rappelle volontiers que la place de la République, la basilique Sainte-Anne ou encore le stade Alphonse-Massamba-Débat ont bénéficié de réhabilitations similaires, témoignant d’une volonté d’harmoniser patrimoine, tourisme et cohésion nationale.
Des retombées attendues pour le tourisme mémoriel
Au-delà de la symbolique, l’arrivée du buste de Malamine Camara pourrait dynamiser un segment touristique déjà en plein essor. Le ministère de la Culture estime que, depuis 2015, la fréquentation du mémorial a progressé de 12 % par an, avec un pic observé lors des Journées européennes du patrimoine auxquelles la République du Congo est régulièrement associée. L’agence congolaise pour la promotion du tourisme urbain table sur un effet d’entraînement de 20 % supplémentaire grâce à la mise en lumière des figures panafricaines. Certains guides indépendants y voient un moyen de diversifier leurs parcours, entre la Ndjiri coloniale et les fresques contemporaines du quartier Poto-Poto.
Entre histoire et diplomatie culturelle
En invitant le Sénégal à sceller, par la pierre, une relation tricentenaire, Brazzaville assume pleinement son rôle de capitale carrefour. La pose prochaine du buste de Malamine Camara rappellera au promeneur comme au chercheur que l’histoire n’est jamais mono-voix. Elle ressaisit les destins croisés et confère, à travers un geste simple, une profondeur humaine à la géographie politique du fleuve Congo. Sous les frondaisons du mémorial, l’explorateur et le sergent dialogueront désormais à égalité de bronze, offrant aux jeunes générations un récit fait de bravoure partagée et d’espérance collective.