La proposition de Pékin, un signal fort pour le marché congolais
Le 22 juillet, dans les salons feutrés du ministère de la Coopération internationale, l’ambassadrice de Chine au Congo, An Qing, a surpris plus d’un observateur en annonçant que Brazzaville pourrait devenir « le premier pays à bénéficier de la nouvelle politique à zéro droit de douane sur cent pour cent des produits africains ». L’initiative, dévoilée à l’issue d’un entretien avec Denis Christel Sassou Nguesso, s’inscrit dans la continuité du Forum sur la coopération sino-africaine et témoigne d’une volonté affichée de Pékin d’approfondir une relation qualifiée de « stratégique et exemplaire ».
Sur le papier, l’enjeu est considérable : dégager un accès préférentiel à un marché de plus d’un milliard quatre-cents millions de consommateurs. Dans un contexte de diversification économique où le Congo cherche à réduire sa dépendance aux hydrocarbures, l’effacement des barrières tarifaires pourrait métamorphoser la compétitivité des filières bois, agriculture, agro-industrie ou encore mines, et réinjecter de la valeur dans les territoires ruraux comme urbains.
Quel impact pour les exportateurs brazzavillois ?
Du plateau des Cataractes aux quais du port autonome de Pointe-Noire, les opérateurs privés s’interrogent déjà sur les marges de manœuvre concrètes. « Passer d’un droit de douane moyen de 15 % à zéro change radicalement la donne », confie un négociant en grumes, pour qui les coûts logistiques resteront néanmoins déterminants. Dans le secteur du cacao, les coopératives espèrent transformer cette ouverture douanière en contrats de long terme, à condition de satisfaire aux normes phytosanitaires chinoises réputées exigeantes.
Le ministère du Commerce extérieur affine actuellement une cartographie des produits potentiellement éligibles. Manioc transformé, café robusta, ferromanganèse ou encore textiles issus du coton local pourraient se frayer une place sur les étals de Chongqing ou de Guangzhou. Reste à aligner la qualité, condition sine qua non pour ne pas transformer l’exemption en mirage statistique.
Entre géopolitique et pragmatisme économique
La décision de Pékin dépasse la seule arithmétique commerciale. Pour la politologue Thérèse Makoua, « une exonération intégrale constitue un gage de confiance politique, tout en renforçant la présence chinoise dans le tissu productif congolais ». L’offre intervient d’ailleurs au moment où la concurrence internationale se fait plus intense sur le continent, notamment de la part de l’Union européenne et des États-Unis, eux-mêmes en quête de nouveaux partenariats verts.
Brazzaville, de son côté, joue une carte d’équilibre. La stratégie nationale de développement 2022-2026 place la coopération Sud-Sud au rang de moteur de l’industrialisation. Transformer l’hinterland du Massif du Chaillu en corridor logistique vers l’Asie confirmerait la pertinence de cette doctrine, tout en demeurant compatible avec les investissements occidentaux dans les énergies renouvelables.
Accélérer les procédures : un défi administratif
Si l’offre chinoise est claire, son entrée en vigueur dépendra de la réactivité des administrations. An Qing a appelé à « accélérer les procédures » pour éviter l’enlisement réglementaire. Le service des douanes prépare déjà des modules de formation afin d’appliquer sans heurts les nouveaux tarifs zéro. Le Guichet unique de formalités des entreprises, pour sa part, anticipe une hausse sensible des demandes de certificats d’origine.
Les observateurs estiment que la simplification annoncée du Code des investissements, examinée actuellement par le Parlement, pourrait fluidifier tout l’écosystème. Le climat des affaires s’en trouverait renforcé, condition nécessaire à l’essor de partenariats public-privé, notamment dans la logistique portuaire et la certification qualitative.
Des projets conjoints à la hauteur des ambitions
Au-delà de l’exemption tarifaire, Brazzaville et Pékin ont dressé une liste de chantiers « urgents ». Le deuxième module de la Zone économique spéciale de Pointe-Noire, financé en partie par la Banque d’import-export de Chine, figure en tête. L’extension de la ligne ferroviaire vers le nord-ouest est également évoquée pour sécuriser l’acheminement du minerai de fer vers les terminaux maritimes.
Dans le domaine agricole, un programme pilote de culture du riz hybride dans la cuvette congolaise devrait démarrer au début de la prochaine saison sous la supervision d’agronomes des deux pays. Autant d’initiatives qui, si elles se concrétisent, créeront une passerelle de valeur ajoutée plutôt qu’un simple flux de matières premières brutes.
Cap sur un horizon commercial renouvelé
Le pari d’une exonération totale vers la Chine condense à la fois espoirs industriels et responsabilités institutionnelles. Les autorités congolaises, qui ont placé la diplomatie économique au cœur de leur programme, disposent d’un levier supplémentaire pour accélérer la diversification. Le secteur privé, quant à lui, devra démontrer sa capacité à monter en gamme et à respecter des standards internationaux toujours plus pointus.
Si le calendrier administratif suit la cadence annoncée, Brazzaville pourrait, d’ici quelques mois, exporter ses premiers conteneurs sans droits de douane vers Shanghai. Un scénario où, pour une fois, l’expression « gagnant-gagnant » ne relèverait pas du slogan mais d’une réalité mesurable sur les recettes non pétrolières et l’emploi des jeunes urbains.