Chronologie de l’interpellation et chefs d’accusation
Le 22 juillet, le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Brazzaville, André Gakala-Oko, a confirmé le placement sous mandat de dépôt de Me Bob Kaben Massouka et de six autres personnes, dont deux ressortissants centrafricains. Les mis en cause auraient, selon l’accusation, préparé une action conjointe baptisée « Appel à la mobilisation pour soutenir la libération du Congo le 10 juillet 2025 », diffusée sur les réseaux sociaux. L’enquête évoque un projet insurrectionnel visant à renverser les institutions de l’État, planifié sur plusieurs mois et articulé autour de réunions clandestines organisées à Brazzaville. Des moyens de communication réputés difficiles à intercepter – talkies-walkies, cartes SIM étrangères, téléphones satellitaires de marque Thuraya – auraient été saisis, laissant supposer une coordination avancée.
Selon le ministère public, l’équipe se composait de profils complémentaires : un juriste, un avocat inscrit au barreau, deux cadres militaires, un agent de la sécurité civile, un fonctionnaire de l’Agriculture et deux anciens membres de la coalition centrafricaine Séléka. La livraison imminente d’armes légères de type PMK aurait été évoquée dans les échanges téléphoniques exploités par les enquêteurs.
Procédure de flagrance et garanties procédurales
Le socle juridique de la poursuite repose sur la notion de crime flagrant, prévue par les articles 55 du Code de procédure pénale et 87 à 89 du Code pénal. Dans ce contexte, les services de la Centrale d’intelligence et de documentation (CID) disposent de prérogatives élargies pour interpeller, auditionner puis déférer les suspects sans requérir d’autorisation préalable. Le procureur Gakala-Oko a insisté sur ce point, rappelant que l’arrestation d’un avocat, en cas de flagrance, n’est pas soumise aux dispositions spécifiques régissant la profession d’avocat. « L’interpellation de Me Bob Kaben Massouka ne constitue pas un enlèvement, mais la mise en œuvre ordinaire d’un flagrant délit », a-t-il soutenu devant la presse.
Cette précision vise à désamorcer les interrogations d’une partie du barreau de Brazzaville, soucieuse de voir respecté le régime particulier de protection des auxiliaires de justice. Plusieurs confrères de l’accusé ont cependant reconnu, sous couvert d’anonymat, que la procédure de flagrance, si elle est régulièrement déclenchée, prime sur la demande préalable d’autorisation ordinale.
Enjeux sécuritaires dans un espace sous-régional poreux
La présence de deux ressortissants centrafricains au sein du groupe suscite une attention accrue sur la dimension transfrontalière de la menace. Les récents épisodes d’instabilité en République centrafricaine ont fait émerger des réseaux circulant librement entre Bangui, la Sangha et le Pool. Les autorités congolaises considèrent, depuis plusieurs années, que la coopération sécuritaire avec la RCA, la RDC et le Cameroun est déterminante pour contenir les trafics d’armes légères susceptibles d’alimenter des velléités insurrectionnelles. Un officier de la Force publique, joint par téléphone, observe que « les téléphones Thuraya confisqués illustrent la stratégie de contournement des réseaux classiques pour échapper aux surveillances nationales ».
Pour Brazzaville, l’affaire intervient dans un contexte régional marqué par la multiplication de foyers de tension. L’enquête offre l’occasion de rappeler la politique officielle de tolérance zéro à l’égard de toute tentative de déstabilisation, politique réaffirmée lors du dernier Conseil national de sécurité présidé par le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso.
Réactions du barreau et débat citoyen sur les libertés
Au-delà de l’aspect strictement juridico-sécuritaire, l’arrestation d’un avocat active un ressort symbolique puissant. Le bâtonnier intérimaire, Me Lucien Bokilo, a rappelé « l’attachement indéfectible du barreau aux libertés fondamentales », tout en reconnaissant que les avocats, comme tout citoyen, sont soumis à la loi commune s’ils sont soupçonnés de crimes graves. Dans les réseaux sociaux, le hashtag #AffaireMassouka nourrit un échange contrasté : certains y voient la nécessaire fermeté de l’État, d’autres alertent sur un possible refroidissement du climat politique à un an et demi d’échéances électorales locales.
Les observateurs interrogés soulignent pour la plupart que le pluralisme d’opinion demeure garanti, mais que la ligne rouge se situe clairement dans l’appel à la violence. « La loi protège la contestation pacifique ; elle réprime la sédition », résume l’universitaire Didier Mavouenzela, spécialiste de droit public.
Stabilité institutionnelle et impératif de transparence
En engageant des poursuites pour association de malfaiteurs et tentative d’atteinte à la sécurité intérieure, le parquet entend transmettre un message d’intransigeance. L’annonce rapide des chefs d’accusation, la présentation publique des éléments matériels et la médiatisation du dossier participent d’une volonté de pédagogie judiciaire. Selon un haut fonctionnaire de la Justice, « l’opinion publique exige désormais que chaque séquence sécuritaire soit éclairée, afin d’éviter les conjectures ».
À Brazzaville, la majorité des analystes estiment que l’efficacité de la réponse institutionnelle repose autant sur la rigueur procédurale que sur la communication. La suite de l’information judiciaire sera donc scrutée : audits des saisies, auditions contradictoires, confrontation des expertises techniques. Autant d’étapes appelées à démontrer la justesse de la qualification pénale et à conforter la confiance citoyenne dans l’appareil judiciaire.
Perspectives et calendrier judiciaire
Me Bob Kaben Massouka et ses co-prévenus sont désormais détenus à la Maison d’arrêt de Brazzaville. Conformément aux règles de la procédure criminelle, un juge d’instruction sera désigné dans les prochains jours pour approfondir le dossier. La durée de l’information est variable, mais le parquet souhaite avancer promptement afin d’éviter que le dossier ne se confonde avec les joutes politiques programmées pour 2024-2025. Plusieurs stratégies de défense pourraient émerger, allant de la contestation de la qualification d’association de malfaiteurs à la mise en avant d’un prétendu piège tendu par des infiltrés.
En attendant, l’opinion publique observe un équilibre délicat : garantir la sécurité collective tout en préservant l’État de droit. Cette affaire, par son retentissement et la variété des protagonistes, pourrait faire jurisprudence en matière de traitement des crimes contre la sûreté intérieure. Le Congo-Brazzaville, engagé dans un agenda de modernisation de son arsenal législatif, devra démontrer que fermeté et respect des garanties fondamentales ne sont pas incompatibles.