Choc national et mémoire partagée
Le communiqué familial publié aux premières heures du mercredi 23 juillet a traversé Brazzaville comme une onde de stupeur : Note Agathon s’est éteint la veille à Nancy, dans l’est de la France, à l’âge de 88 ans. Au-delà des cercles institutionnels, c’est l’ensemble de la société congolaise qui s’est trouvée saisie d’émotion, tant le nom du disparu demeure associé à la naissance de l’administration moderne du pays. Dans les quartiers populaires de Poto-Poto comme sous les lambris des ministères du Plateau, des récits personnels jaillissent, empreints de respect pour cet homme que beaucoup décrivent comme « à la fois inflexible et profondément bienveillant ».
À l’annonce de sa disparition, plusieurs voix officielles ont salué « l’engagement d’un patriote qui a enjambé les décennies sans jamais se départir de son sens de l’État ». Joignant leurs condoléances à la famille, des responsables syndicaux ont rappelé « la stature de formateur » de celui qui considérait la transmission comme « la première dette morale d’un cadre supérieur ». Le deuil national, murmure-t-on déjà dans les couloirs du Palais du Peuple, pourrait prendre la forme d’un hommage solennel, illustrant l’attachement de la nation à ceux qui ont contribué à la consolider.
Une formation hexagonale au service du Congo
Né en 1937 dans une famille d’instituteurs de la Sangha, Note Agathon fait partie de la première cohorte d’étudiants congolais admise dans les grandes écoles françaises à la veille de l’indépendance. Reçu à l’Institut d’études politiques de Bordeaux puis à l’École nationale de la France d’Outre-Mer, il approfondit la science administrative, persuadé que la jeune République aura tôt ou tard besoin de compétences techniques pour consolider ses institutions. « Il n’y a pas de souveraineté sans administration robuste », confia-t-il un jour à un camarade de promotion, propos consignés dans les archives familiales.
À son retour au pays au début des années 1960, il refuse d’emblée plusieurs offres de cabinets internationaux, estimant que « la priorité est de bâtir des structures endogènes ». Son choix, salué par la presse de l’époque, illustre une vision du service public où le prestige personnel cède la place à l’intérêt supérieur de la nation. Cette posture lui vaudra, toute sa vie, une aura d’intégrité rarement contestée.
Des fonctions clés de l’Ofnacom à la Cour constitutionnelle
Cette rigueur intellectuelle trouve à s’exprimer dès 1970 lorsqu’il prend la tête de l’Office national du commerce (Ofnacom). Sous sa direction, la société d’État diversifie ses filières, rationalise ses importations et consolide un réseau de dépôts qui sécurisent l’approvisionnement en denrées de première nécessité. L’ancien économiste Alphonse Ngatsé se souvient d’« un manager qui imposait le mérite, refusant toute complaisance vis-à-vis des aléas politiques ».
Appelé en 1984 au cabinet du Premier ministre Jacques Joachim Yhomby Opango, il orchestre la coordination inter-ministérielle avec une précision d’horloger, veillant à ce que chaque dossier soit instruit « sur la base d’analyses chiffrées et non d’intuitions ». Plus tard, la présidence de la Cour constitutionnelle lui offre une tribune pour défendre l’État de droit. Ses arrêts, parfois audacieux, contribueront, selon plusieurs juristes, à « stabiliser le jeu institutionnel » tout en confirmant la primauté du texte fondamental.
Un style de gouvernance entre rigueur et humanisme
Si Note Agathon cultive une éthique de fer, il n’en demeure pas moins attentif à la dimension humaine de la décision publique. Les plus jeunes agents se rappellent ses tournées inopinées dans les services : « Il voulait vérifier que le dernier commis disposait des mêmes outils que le directeur », rapporte une ancienne secrétaire de l’Ofnacom. Cette pratique, inspirée de l’administration napoléonienne qu’il admirait, traduisait sa conviction qu’« un État est aussi fort que la confiance que ses agents placent en lui ».
Connu pour son franc-parler, il n’hésitait pas à interpeller, dans un langage châtié, quiconque s’écartait du devoir professionnel. Toutefois, son exigence s’accompagnait d’une propension à couvrir ses collaborateurs lorsqu’ils reconnaissaient leurs erreurs. « La faute avouée et corrigée vaut leçon pour tous », résumait-il lors d’un séminaire à l’École nationale d’administration et de magistrature.
Entre transmission et héritage, le temps du recueillement
Conformément au souhait exprimé de son vivant, la dépouille de Note Agathon sera exposée en région parisienne avant son transfert à Brazzaville. Les autorités consulaires, en coordination avec la famille, finalisent les modalités afin que les compatriotes de la diaspora puissent se recueillir. Au pays, plusieurs établissements scolaires prévoient de consacrer des conférences à l’analyse de ses contributions, tandis que la faculté de droit annonce la publication d’un numéro spécial de sa revue.
Dans une scène qui résume l’esprit d’échange qu’il affectionnait, un groupe d’étudiants, interrogé devant la bibliothèque universitaire, évoque son héritage en termes d’exigence et d’humilité. L’un d’eux confie : « Il prouve qu’on peut servir l’État sans rien demander d’autre que la possibilité d’agir ». À l’heure où le Congo poursuit sa marche vers un développement inclusif, la trajectoire de Note Agathon rappelle qu’une gouvernance solide s’enracine d’abord dans la compétence et la probité. En cela, son souvenir continuera d’accompagner un pays qui, tout en tournant la page, mesure la portée de l’œuvre accomplie.