Brazzaville vibre au rythme afro-latino
Au cœur de la saison sèche, lorsque le soleil accroche le fleuve d’un éclat mordoré, Brazzaville reprend cet été l’accent bigarré du Festival panafricain de musique. La douzième édition du Fespam, rendez-vous désormais cardinal du calendrier culturel sous-régional, s’offre une coloration inédite : l’arrivée des Vénézuéliens de Madera. En réunissant, dans une même scène, le souffle caribéen et les pulsations bantoues, la capitale congolaise rappelle combien la musique, plus qu’un divertissement, demeure un vecteur d’identité et d’ouverture.
Un rendez-vous panafricain sous haute coordination
Le ministère en charge de la Culture, épaulé par le Comité d’organisation du Fespam, a multiplié les synergies pour maintenir la réputation d’excellence logistique de la manifestation. Les plateaux sonorisés du Palais des congrès, les espaces de répétition au Mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazzà ou encore les navettes fluviales mises à disposition des délégations illustrent cette volonté politique de garantir des conditions scéniques harmonieuses. « Le Fespam est une vitrine que nous peaufinons avec le même soin qu’un luthier pour son instrument », confie un membre du comité, rappelant l’engagement du gouvernement à faire rayonner la scène congolaise tout en l’ouvrant à des influences nouvelles.
Cette ouverture s’ancre dans la stratégie de diversification des partenariats culturels, appelée de ses vœux par le président Denis Sassou Nguesso. En invitant pour la première fois un ensemble latino-américain, les autorités entendent inscrire Brazzaville au carrefour des dialogues musicaux Sud-Sud, loin des circuits traditionnels dominés par l’Atlantique Nord.
La diplomatie des percussions entre Caracas et Mpila
Que représentent ces congas venues de Caracas, ces cuivres patinés par l’air salin de la mer des Caraïbes, dans la vaste partition géopolitique actuelle ? Pour Laura Evangelia Suarez, cheffe de mission de l’ambassade du Venezuela, « la musique est une lettre crédible qui dépasse les chancelleries ». L’entrée en scène de Madera s’inscrit ainsi dans une dynamique de soft power assumée, où le tambour afro-descendant rend hommage aux racines congolaises du peuplement caribéen. Le public brazzavillois redécouvre, au détour d’un solo de maracas, la fraternité d’une histoire dispersée par la traite et recomposée par le groove.
Le témoignage de Ricardo Flores, directeur artistique de Madera, renchérit : « En foulant ce sol, nous refermons un cercle ouvert il y a quatre siècles. Notre salsa est un enfant illégitime de la rumba congolaise ». Cette déclaration, vibrante d’émotion, conforte les autorités congolaises dans leur ambition de faire du Fespam un forum d’échanges mémoriels, capable d’adoucir les aspérités diplomatiques par la célébration des filiations culturelles.
Kombé, un décor social porteur de sens
Au-delà des ors institutionnels, la programmation réserve un détour à haute portée symbolique. Le 24 juillet, Madera déploiera son répertoire sous les toits modestes de l’orphelinat village des enfants cardinal Emile-Biayenda, niché à Kombé, dans le huitième arrondissement. Choisir ce lieu, c’est rappeler que la richesse musicale n’existe qu’en partage et qu’aucune stratification sociale ne doit priver la jeunesse congolaise de la féerie des percussions. Le Centre de recherche agricole chinois, voisin immédiat, offre son amphithéâtre naturel, tandis que les plantations d’eucalyptus diffusent un parfum de liberté qui ne laisse aucun auditeur indifférent.
Les responsables de l’orphelinat saluent un geste de solidarité culturelle. « Nos enfants entendent d’ordinaire les sirènes de la ville au loin. Cette fois, c’est la ville entière qui se déplace vers eux », souligne sœur Angélique Nzila, directrice du site. Le ministère des Affaires sociales, associé à l’initiative, y voit la matérialisation d’une politique inclusive, où la musique devient un droit commun et non un luxe réservé à quelques privilégiés.
Perspectives d’un dialogue musical Sud-Sud
À l’heure où les instruments sont remballés et où les spots du Palais des congrès s’éteignent, demeure la certitude que la rencontre Madera-Brazzaville ouvre plus qu’un simple intermède festif. Des ateliers de transmission sont déjà envisagés avec l’École nationale de musique et d’art dramatique, afin de confronter le phrasé salsa au système pentatonique des percussions traditionnelles téké. Des échanges inversés, prévoyant l’envoi de jeunes congolais vers Caracas, figurent également sur la table des ministères de la Culture et des Relations extérieures.
Le Fespam confirme ainsi son rôle d’accélérateur, soutenu par une gouvernance qui a su, sans triomphalisme excessif, faire de la diplomatie culturelle un bras complémentaire de la coopération économique. Tandis que les accords cadres se rédigent, les mélomanes, eux, retiennent surtout cette image : des enfants de Kombé, tambourinant en cadence avec des artistes venus d’un autre hémisphère, prouvant que Brazzaville sait conjuguer l’hospitalité au futur.