Un matin vibrant au village des enfants de Kombé
Il est à peine dix heures, ce 24 juillet, lorsque les premières percussions roulent sur la placette centrale de l’orphelinat Cardinal-Émile-Biayenda, dans le huitième arrondissement de Brazzaville. Les élèves encore en congé se pressent autour de la scène improvisée, curieux de découvrir ces musiciens venus de l’autre rive de l’Atlantique. Sous la canopée des manguiers, les cuivres colorés du groupe Madera répondent aux rires, tissant un début de matinée que seule la musique pouvait rendre aussi dense.
Le Fespam élargit son spectre géographique
La douzième édition du Festival panafricain de musique, placé sous le haut patronage des autorités congolaises, avait déjà annoncé sa volonté de s’ouvrir davantage aux diasporas afrodescendantes. L’arrivée de Madera, première formation vénézuélienne invitée en vingt-six ans d’existence de la manifestation, matérialise cette ambition. « Le Fespam n’est pas qu’une vitrine, il est un trait d’union entre continents », souligne un membre du comité d’organisation. Par cette programmation, Brazzaville confirme sa place de capitale culturelle où les rythmes d’Afrique, des Caraïbes ou d’Amérique latine dialoguent naturellement.
Diplomatie des tambours et des cuivres
L’événement trouve également ses racines dans une diplomatie culturelle assumée. Devant un public mêlant enfants, encadrants et représentants officiels, l’ambassadrice de la République bolivarienne du Venezuela, Laura Evangelia Suarez, insiste : « Nos racines africaines vibrent dans chaque clave de la salsa. Partager ces sonorités ici, c’est retrouver une partie de notre identité commune ». Les paroles résonnent avec l’engouement suscité par le concert ; elles témoignent d’une coopération Sud-Sud qui passe par l’art, échappant aux contingences habituelles des forums politiques.
Cardinal-Émile-Biayenda, scène d’une joie contagieuse
Dans la cour de l’orphelinat créé il y a plus de deux décennies, le saxophone de Madera reprend un standard de salsa teinté de tambours bata afro-cubains. Les enfants, pour nombre d’entre eux orphelins de guerre ou de maladies, se lèvent et improvisent des pas. Quelques seniors de la communauté éducative décrivent un « moment de légèreté rare ». Selon le directeur de l’établissement, cette visite prolonge un partenariat constant avec les instances culturelles locales. « L’attention portée aujourd’hui à ces enfants rappelle la vocation inclusive du Fespam », confie-t-il. La musique se mue ainsi en vecteur de résilience sociale.
Regards croisés sur l’héritage commun afro-caribéen
Au-delà de l’émotion immédiate, l’étape de Kombé sert de laboratoire artistique. Les percussionnistes congolais de Tam-Tam sans frontières, présents la veille au Palais des congrès, croisent leurs cadences avec celles de Madera, soulignant une parenté rythmique forgée par des siècles de circulations atlantiques. L’ethnomusicologue Alain Mabiala, observateur attentif, note que « les syncopes de la rumba congolaise et les contre-temps de la salsa partagent un vocabulaire percussif hérité du royaume Kongo ». Grâce à ces échanges impromptus, le festival rappelle que l’histoire musicale du bassin du Congo résonne encore dans les barrios de Caracas.
Une impulsion pour la coopération culturelle sud-sud
Ce concert à l’orphelinat, discret par l’échelle mais exemplaire par l’intention, pourrait inaugurer une série de résidences croisées entre artistes congolais et vénézuéliens. Des discussions évoquent déjà un jumelage entre l’École nationale de musique de Brazzaville et la Fundación Bigott de Caracas. Si elles aboutissent, ces initiatives renforceront la visibilité internationale des talents locaux, tout en offrant au public brazzavillois de nouvelles fenêtres sur les expressions diasporiques. À l’heure où la mondialisation culturelle invite à la standardisation, de telles passerelles défendent la singularité des ancrages.
La dernière note du concert s’éteint, mais reste la certitude que les enfants de Kombé garderont la mémoire d’un matin où les frontières se sont effacées sous le souffle chaud d’un trombone vénézuélien. Pour le Fespam, c’est peut-être là la plus belle des promesses : faire vibrer l’universel en partant du local, avec le concours bienveillant des autorités culturelles nationales et des partenaires étrangers.