Une initiative citoyenne qui redéfinit l’inclusion
Dans le foisonnement urbain de Brazzaville, un atelier discret résonne chaque matin, non pas de voix, mais de gestes précis et de claviers enthousiastes. C’est ici que le Centre de formation des jeunes vivant avec handicap, plus connu sous l’acronyme Cenfor-Jh, déploie depuis deux ans un dispositif d’apprentissage aux métiers du numérique à l’intention de jeunes sourds. L’organisme, né du projet « Numérique pour tous » primé au Youth Challenge porté par l’UNICEF, le PNUD et les autorités nationales, s’est donné pour mission de transformer un simple certificat de Brevet d’études techniques en véritable passeport pour l’emploi.
Le numérique, un levier d’autonomie pour une jeunesse silencieuse
Selon Edgar Bavoumina, président-fondateur de Cenfor-Jh, « l’appétence des apprenants pour les outils digitaux a surpassé nos prévisions, révélant une créativité insoupçonnée ». Concrètement, les bénéficiaires explorent la conception graphique, la retouche d’image, l’initiation au code et la sérigraphie. Chaque session condensée en deux mois mobilise un interprète en langue des signes et des formateurs spécialisés, garants d’une transmission de qualité. À l’issue du parcours, les participants sont capables de produire des visuels professionnels et de manipuler les logiciels courants du marché, compétences particulièrement recherchées par les petites agences de communication qui fleurissent dans la capitale.
Défis logistiques et adhésion familiale en construction
Si l’enthousiasme des jeunes ne se dément pas, la pérennité du programme se heurte à deux obstacles majeurs : l’équipement et la perception sociale. Faute d’imprimante industrielle, les stagiaires ne peuvent finaliser leurs prototypes sans recourir à des prestataires externes, ce qui gonfle les coûts et freine la cadences pédagogique. Par ailleurs, certains parents, encore persuadés que la menuiserie ou la couture constituent les seules voies viables pour leurs enfants malentendants, hésitent à soutenir moralement et financièrement leur incursion dans l’univers numérique. Edgar Bavoumina observe toutefois « une lente mais réelle évolution des mentalités dès lors que les familles découvrent les premières réalisations graphiques et les micro-revenus qu’elles génèrent ».
Un appel à la convergence des acteurs publics et privés
Conscient que l’innovation sociale nécessite un ancrage institutionnel, Cenfor-Jh sollicite désormais un partenariat renforcé avec les collectivités et les entreprises technologiques opérant sur le territoire national. L’association plaide pour la mise à disposition de salles équipées d’ordinateurs à haut rendement, l’octroi de licences logicielles et la création d’un lycée technique polyvalent ouvert à l’ensemble des handicaps. Cette orientation s’inscrit dans la politique gouvernementale de diversification économique et de promotion de l’économie numérique, soulignée notamment lors des Assises du Numérique tenues à Brazzaville en mars dernier. Le Ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique avait alors rappelé que l’égalité d’accès aux compétences digitales constitue « un enjeu de souveraineté et de cohésion nationale ».
Impact mesurable et perspectives régionales
À ce jour, vingt-et-un jeunes sourds ont terminé le cursus. Plusieurs d’entre eux ont été recrutés comme infographistes indépendants pour des manifestations culturelles locales, tandis que d’autres poursuivent un perfectionnement en développement web. Fort de ces réussites ponctuelles, Cenfor-Jh envisage d’étendre sa cible aux personnes à mobilité réduite et aux déficients visuels, en adaptant les contenus pédagogiques. À moyen terme, l’association projette de transformer son centre en hub d’innovation inclusive, capable de rayonner dans les capitales voisines et de participer aux rencontres de l’Alliance Smart Africa.
Ces ambitions rejoignent les orientations du Plan national de développement qui mise sur l’économie verte et le numérique pour absorber le flux annuel de nouveaux diplômés. L’intégration des personnes vivant avec handicap dans cette dynamique n’est pas seulement une exigence morale : c’est un facteur de compétitivité pour une société en quête d’excellence et de cohésion.
Vers une citoyenneté professionnelle pleinement assumée
En conjuguant expertise technologique, langue des signes et volontarisme associatif, Cenfor-Jh démontre que l’insertion de la jeunesse sourde ne relève pas de l’utopie mais d’un processus pragmatique. Les résultats, encore modestes, n’en dessinent pas moins les contours d’un écosystème où les talents s’expriment sans barrières auditives. La balle est désormais dans le camp des partenaires publics et privés pour amplifier cette dynamique vertueuse. À l’heure où la République du Congo s’affirme sur la scène numérique continentale, l’initiative brazzavilloise rappelle qu’aucune stratégie de développement durable ne saurait se concevoir sans l’inclusion effective de tous ses citoyens, qu’ils s’expriment par la voix ou par le signe.