Une cérémonie au symbolisme républicain affirmé
Vendredi 25 juillet 2025, les ors du Palais des congrès scintillaient sous la lumière des projecteurs officiels. Les chœurs de la Garde républicaine balayaient la nef de leurs cuivres tandis que le protocole déroulait le tapis cramoisi réservé aux grandes occasions nationales. Au centre de la scène, le président Denis Sassou Nguesso, Grand Maître des Ordres nationaux, a posé sur la veste sombre du professeur Théophile Obenga l’écharpe et la plaque de Grand-Croix de l’Ordre du Mérite Congolais. Applaudissements nourris, salle comble, caméras suspendues : l’image d’une République qui distingue l’un des siens a circulé aussitôt sur les réseaux locaux.
Décorations nationales et rayonnement culturel
Créé en 1959 à la veille de l’indépendance, l’Ordre du Mérite Congolais récompense « les services éminents rendus à la Nation ». La dignité de Grand-Croix en constitue l’ultime échelon, rarement attribué. Selon la chancellerie, seuls une vingtaine de lauréats, majoritairement anciens chefs d’État ou pionniers de la diplomatie, en sont décorés. En adoubant un intellectuel, l’État congolais rappelle que la contribution scientifique vaut autant que la bravoure militaire ou la réussite économique. « Nous offrons au savoir la place qui lui revient dans la hiérarchie des honneurs », a insisté Léon-Juste Ibombo, ministre en charge des ordres nationaux, en marge de la cérémonie.
Parcours académique d’un savant transcontinental
Né en 1936 à Dolisie, Théophile Obenga s’est imposé dès les années 1970 comme l’un des égyptologues africains les plus écoutés. Diplômé de la Sorbonne et de Genève, il a longtemps enseigné aux États-Unis avant de diriger l’Université Marien-Ngouabi. Ses recherches sur les liens linguistiques entre langues bantoues et égyptien pharaonique ont nourri le panafricanisme savant. En 1995, l’Unesco l’avait déjà honoré pour son ouvrage “Origine commune de l’égyptien ancien et des langues négro-africaines”. Aujourd’hui retraité officiel mais toujours chroniqueur dans les colloques, il anime à Brazzaville un centre de mentorat destiné à encourager la jeune recherche en humanités.
Signification diplomatique du geste présidentiel
En distinguant le professeur Obenga, le chef de l’État adresse également un message au-delà des frontières. « C’est une proclamation de souveraineté culturelle », analyse la politologue Irène Nzoungou. Le Congo, souvent résumé à ses exportations pétrolières, veut rappeler qu’il peut exporter des idées. La Grand-Croix devient ainsi un instrument de soft power, à l’heure où les dialogues Sud-Sud se renforcent. L’entourage présidentiel souligne que la distinction intervient quelques mois avant le Sommet des universitaires francophones prévu à Libreville, où Brazzaville entend présenter une initiative pour la libre circulation des chercheurs.
Voix d’universitaires et espoirs de la jeunesse
À la sortie du Palais, plusieurs doctorants applaudissaient un geste perçu comme un signal d’encouragement. « Obenga prouve que l’excellence n’oblige pas à l’exil définitif », confiait Mireille Kodia, médaille de bronze du dernier concours Jeunes Talents. Cependant, la conversation se poursuit dans les cafés du centre-ville : la reconnaissance symbolique doit-elle se traduire par une hausse du budget de la recherche ? « Il s’agit d’une boussole morale ; à nous de transformer l’essai », répond sobrement le recteur de l’Université Denis Sassou Nguesso. Les réseaux sociaux, qui ont propulsé les images de la cérémonie, relaient déjà des appels à la valorisation des bibliothèques publiques.
Vers une patrimonialisation du savoir congolais
L’anecdote rapporte que le professeur Obenga a glissé à l’oreille du chef de l’État : « Le réel mérite est collectif ; il revient à ceux qui maintiennent la flamme de la curiosité ». La formule résonne à l’heure où Brazzaville travaille à l’inscription de plusieurs manuscrits anciens au registre Mémoire du monde. Dans cette perspective, la Grand-Croix attribuée au savant se lit comme une étape d’un chantier plus vaste : bâtir une diplomatie du patrimoine immatériel. Le geste présidentiel consacre la trajectoire d’un homme, mais il suggère aussi que la République veut ériger la culture et la science en piliers de son horizon stratégique. Un pari sur la durée, dont le symbole de ce 25 juillet constitue, peut-être, le premier jalon visible.