L’acte du 22 juillet : un signal attendu
À Brasilia, la signature par la procureure Sônia de Almendra F. Portella Nunes et l’ambassadeur Louis Sylvain-Goma a remis sous les projecteurs un dossier discret mais décisif : le rééchelonnement de la dette congolaise vis-à-vis du Brésil. Par un avenant unique en son genre, les deux États ont scellé la modernisation d’un accord initialement paraphé en 2014, à une période où les cours du pétrole assuraient encore à Brazzaville un coussin financier confortable. Neuf ans plus tard, le geste prend une tout autre dimension : il marque la reconnaissance officielle d’une conjoncture internationale bouleversée et la volonté partagée de préserver une relation jugée « stratégique » des deux côtés de l’Atlantique, selon un conseiller de la chancellerie brésilienne.
Libor évincé, SOFR intronisé
Le cœur de l’avenant est d’apparence technique : remplacer le défunt Libor, ce taux interbancaire londonien tombé en disgrâce, par le Term SOFR, nouvelle référence dérivée des opérations de refinancement en dollars. Ce basculement, déjà acté par la plupart des grandes places financières, évite aux deux administrations de se retrouver sans boussole de calcul. Pour Brazzaville, la substitution offre surtout une plus grande lisibilité de la charge d’intérêts, le SOFR reposant sur des transactions réelles et non des déclarations de panel bancaire. « L’incertitude se réduit, c’est un atout pour la programmation budgétaire », souligne un analyste du Trésor congolais.
Un souffle budgétaire pour Brazzaville
Depuis la chute des prix des matières premières en 2015, puis le choc pandémique, la République du Congo a dû composer avec un service de la dette devenu exigeant. Les mécanismes de rééchelonnement successifs, négociés avec plusieurs partenaires, visent à lisser les échéances sans compromettre la réputation de signature du pays. Dans ce contexte, l’avenant signé à Brasilia apporte une respiration : d’après des estimations officieuses, l’indexation sur le SOFR générerait, en fonction de l’évolution des taux américains, un coût global inférieur au scénario Libor sur le reste de la période d’amortissement. Une économie qui, conjuguée au rebond post-Covid des recettes pétrolières, pourrait libérer des marges pour les investissements sociaux et d’infrastructures.
Un partenariat atypique mais régulier
Le Congo et le Brésil, géographiquement éloignés et dotés de profils économiques dissemblables, n’en entretiennent pas moins un dialogue dense, né en 1980 et structuré par une commission mixte. La trajectoire des visites officielles en témoigne : trois séjours brésiliens du président Denis Sassou Nguesso – 1982, 2005 et 2023 – en réponse à la venue de Luiz Inácio Lula da Silva à Brazzaville en 2007. Selon un diplomate congolais, « le Brésil offre un regard du Sud sur les défis de développement, sans la verticalité souvent associée aux bailleurs traditionnels ». Les projets agricoles et de formation technique conduits à Kinkala et Dolisie illustrent cette approche moins bridée par les conditionnalités.
Éclairage des économistes locaux
Pour le professeur Aimé Nkodia, enseignant à l’Université Marien-Ngouabi, « l’intérêt réel de l’avenant va au-delà du débat de taux. Il crédibilise la stratégie de gestion active de la dette entreprise par le gouvernement et rassure les créanciers sur la capacité de négociation du Congo ». De son côté, Diane Mvouba, consultante à Pointe-Noire, prévient qu’« un taux de marché variable reste un pari ; la vigilance budgétaire demeure essentielle ». Les deux voix convergent cependant sur un point : l’accord renforce la visibilité internationale de Brazzaville au moment où l’Afrique centrale attire de nouveaux investisseurs.
Un second avenant en ligne de mire
Le Sénat brésilien examine déjà un texte complémentaire visant, cette fois, à réduire le stock de la dette proprement dite. Si l’initiative aboutit, elle réduira la charge annuelle supportée par le Trésor congolais et consolidera l’effort de consolidation budgétaire engagé depuis 2019. Les discussions laissent entrevoir une décote partielle, assortie d’objectifs communs de coopération technique dans la transition énergétique – un domaine où les deux pays partagent l’ambition de valoriser la biomasse et le gaz associé. Les observateurs y voient un signe de confiance : « Un créancier n’accorde pas de rabais à un partenaire qu’il juge peu fiable », rappelle un haut fonctionnaire brésilien.
Perspectives et prudence partagée
Toute avancée sur la dette ouvre une fenêtre, mais ne saurait se substituer aux réformes internes. Les autorités congolaises l’affirment : la diversification économique reste la priorité, afin de décorréler les équilibres budgétaires des seuls hydrocarbures. Dans cette optique, l’appui brésilien pourrait se traduire par des transferts de savoir-faire en agro-industrie et en numérique, secteurs que Brasilia maîtrise et où Brazzaville veut accélérer. La prudence du langage officiel révèle toutefois la conscience des aléas mondiaux : remontée des taux américains, tensions géopolitiques, volatilité des matières premières.
Un pas mesuré sur un pont durable
En se conformant aux nouveaux standards de la finance internationale, le Congo se dote d’un instrument actualisé et gagne un temps précieux pour affiner sa trajectoire budgétaire. Quant au Brésil, il renforce son image de partenaire sérieux du continent africain, fidèle à une diplomatie du dialogue Sud-Sud. Le tango prudent amorcé à Brasilia le 22 juillet n’a peut-être pas l’éclat d’un réaménagement majeur, mais son rythme calculé illustre un partenariat qui se nourrit de constance et d’ajustements mutuels. En somme, un petit pas financier qui pourrait préparer de grands pas économiques.