Une suspicion persistante dans les ruelles de Madibou
Dans les allées sableuses qui serpentent entre les maisons colorées de Mayanga, un même récit se chuchote de parcelle en parcelle : celui d’un feu qui refuse de s’allumer. Pour plusieurs familles, l’étonnement se mue en désillusion dès l’instant où la flamme manque à l’appel. Elles découvrent alors que leur bouteille de 3,5 kg, fraîchement acquise dans un mini-dépôt du quartier, est déjà vide.
« J’ai cru au défaut de ma gazinière », confie Marie-Laure, enseignante, avant de réaliser que la tare pesée donnait un total identique à la masse inscrite sur la bonbonne. Échaudés, les consommateurs évoquent une pratique d’arnaque, soupçonnant certains détaillants de vendre des récipients non remplis ou partiellement siphonnés. Le bouche-à-oreille fait le reste, nourrissant un climat de méfiance qui s’étend désormais au-delà des frontières de l’arrondissement 8.
Un maillon essentiel mais fragile de la chaîne énergétique
Les mini-dépôts, nés de la volonté d’étendre l’accès au gaz domestique jusqu’aux quartiers périphériques, constituent aujourd’hui un segment vital du réseau d’approvisionnement brazzavillois. D’après les données diffusées par le Ministère des Hydrocarbures en 2022, près de soixante pour cent des ménages urbains se fournissent dans ces points de vente de proximité. Leur succès repose sur des horaires flexibles, une implantation dense et une capacité à écouler rapidement les bouteilles de faible capacité, prisées par les publics modestes.
Dans un contexte où le bois et le charbon de bois pèsent encore lourd dans le mix énergétique urbain, le gouvernement promeut l’usage du gaz liquéfié, jugé moins nocif pour la santé et pour l’environnement. Ce choix politique s’accompagne d’incitations fiscales à l’importation de bonbonnes et à l’implantation de petits dépôts, afin de rapprocher l’énergie propre des foyers. Toutefois, la multiplication rapide des points de vente, parfois installés dans des garages privés, complique le contrôle systématique du processus de remplissage.
Réglementation et contrôles : un arsenal en renfort
Face aux plaintes récurrentes, la Direction générale des hydrocarbures a rappelé, par communiqué, que tout revendeur doit détenir une autorisation d’exploitation, afficher les prix officiels et présenter un certificat de vérification métrologique. L’Agence congolaise de normalisation et de la qualité insiste désormais sur la pose de scellés inviolables et l’apposition d’étiquettes mentionnant la date de remplissage.
« Les équipes de contrôle intensifient les descentes inopinées », précise un ingénieur de l’organisme, ajoutant que l’amende peut atteindre cinq millions de francs CFA pour une bouteille impropre à la vente. Ces mesures s’inscrivent dans l’ambition gouvernementale de sécuriser la filière, de la raffinerie jusqu’à la cuisine du consommateur, sans toutefois freiner l’initiative privée qui soutient l’emploi local.
Les mécanismes d’arnaque mis en cause par les usagers
Au-delà des bouteilles entièrement vides, certains habitants évoquent des gonflages partiels ou le remplacement, dans la cellule intérieure, du gaz butane par un mélange plus léger, provoquant une chute de pression. D’autres craignent la pratique du transvasement artisanal, opéré de façon nocturne, qui abîme les soupapes de sécurité. Bien que ces allégations ne soient pas toujours étayées par des preuves scientifiques, elles illustrent la fracture de confiance entre commerçants et riverains.
Un revendeur du marché de Mbota nuance toutefois les accusations : « Le stockage prolongé sous le soleil peut entraîner une baisse de rendement perceptible à l’allumage ». Selon lui, un kilogramme de gaz vendu en bonne foi peut sembler moins performant si la bouteille est exposée à une chaleur excessive avant utilisation.
Réactions officielles et pédagogie citoyenne
Conscientes de l’effet démobilisateur d’une telle défiance sur la politique énergétique, les autorités locales multiplient les campagnes de sensibilisation. Dans les rues de Mayanga, des agents municipaux distribuent des dépliants illustrant la méthode correcte de pesée : tare à gauche, masse nette à droite. Le service des affaires sociales encourage également la vérification visuelle du scellé ainsi que l’exigence systématique d’un reçu, condition sine qua non pour toute réclamation.
« Au moindre doute, conservez la facture et signalez-vous auprès de la brigade de contrôle », martèle un chef de quartier. Ce dispositif s’appuie sur le numéro vert mis en place par le Ministère des Hydrocarbures, de sorte à maintenir une boucle de retour d’information rapide entre usagers et gendarmes du secteur.
La confiance, ciment indispensable à la transition énergétique
La réussite de la transition vers une cuisson au gaz, à laquelle le pays consacre de substantiels efforts logistiques, dépend moins de la disponibilité d’infrastructures que de la fiabilité perçue du produit final. Mayanga rappelle que la moindre brebis galeuse peut ternir l’image de l’ensemble de la filière et pousser certains foyers à réembraser le charbon de bois, avec les impacts sanitaires connus.
En renforçant la surveillance, en durcissant les sanctions et en déployant une pédagogie adaptée aux réalités des quartiers, les pouvoirs publics entendent protéger le porte-monnaie des ménages sans entraver l’esprit d’entreprise. Les commerçants, pour leur part, savent qu’ils ont tout à gagner à jouer la carte de la transparence. Car en définitive, une flamme qui tarde à paraître éteint bien plus que la marmite : elle peut refroidir la confiance collective, moteur discret mais décisif du développement économique de Brazzaville.