Brazzaville, tête de pont diplomatique
Depuis la capitale congolaise, la visioconférence du 24 juillet a donné le ton d’une diplomatie africaine décidée à reprendre la main sur le dossier libyen. « Notre continent ne peut plus se résoudre à la prolongation indéfinie d’un conflit qui mine nos aspirations collectives à la stabilité et au développement », a martelé Denis Sassou Nguesso, vêtu de son traditionnel costume sombre. Son propos, mesuré mais ferme, a aussitôt trouvé écho parmi les membres du Conseil de paix et de sécurité, conscients que l’instabilité libyenne nourrit les trafics transfrontaliers et la circulation d’armes légères jusque dans le Sahel.
Un mandat continental assumé avec constance
À la tête du Comité de haut niveau sur la Libye depuis 2014, le dirigeant congolais capitalise sur une légitimité patiemment construite. Brazzaville a, ces dernières années, accueilli une série de consultations informelles entre notables libyens, diplomates africains et émissaires onusiens. Si ces démarches n’ont pas encore produit de cessez-le-feu définitif, elles ont permis de maintenir un fil de discussion entre factions rivales, salué par la commissaire aux affaires politiques de l’UA comme « le dernier trait d’union africain dans un dossier trop souvent confisqué par les puissances extérieures ».
La Charte de réconciliation comme horizon commun
Instrument juridique en cours de finalisation, la Charte de réconciliation inter-libyenne doit être signée le 14 février 2025 à Addis-Abeba, en marge du sommet ordinaire de l’UA. Préparé par une équipe d’experts placés sous la coordination du ministre congolais des Affaires étrangères, l’avant-projet entérine le principe d’une amnistie conditionnelle et d’un calendrier électoral unifié. « Il s’agit moins d’imposer une feuille de route que de consacrer des engagements librement négociés entre Libyens », précise une source proche du dossier. La date du 14 février, symbolique, se veut un clin d’œil à la concorde, mais elle rappelle aussi la longue patience requise pour sortir d’un conflit désormais quinquagénaire.
Tripoli sous tension, un test pour la médiation
Les affrontements du mois de mai entre la 44ᵉ brigade d’infanterie et les forces de soutien à la stabilité ont mis en lumière la fragilité sécuritaire persistante dans la capitale libyenne. Yoweri Museveni, qui préside le Conseil de paix et de sécurité pour ce mois, a regretté « la multiplication de milices au statut flou, susceptibles de faire dérailler n’importe quel processus politique ». Tripoli reste l’épicentre d’enjeux économiques considérables, et le blocage prolongé de certaines installations pétrolières accentue l’urgence d’une solution inclusive.
L’Union africaine mise sur la solidarité panafricaine
Au-delà des déclarations d’intention, l’UA entend déployer, d’ici la fin de l’année, une mission d’appui technique au recensement électoral et à la sécurisation des sites stratégiques. Mohamed Ali Youssouf, président de la Commission, a rappelé qu’il « n’existe pas de paix durable sans légitimité populaire ». Dans la même veine, le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed El Menfi, a salué « l’écoute attentive de Brazzaville » et a exhorté les bailleurs internationaux à aligner leur action sur les priorités africaines.
Un impact régional qui dépasse la seule Libye
Les chancelleries ouest-africaines suivent de près la séquence diplomatique pilotée par le Congo. La porosité des frontières et la circulation d’armes issues des anciens stocks libyens ont déjà alimenté des foyers d’instabilité de la bande sahélienne jusqu’aux rives du lac Tchad. Pour un analyste du Centre d’études stratégiques de Dakar, « le succès de la Charte atténuerait significativement la pression sécuritaire sur le Sahel central et redonnerait de l’oxygène aux plans nationaux de développement ». Brazzaville, en position de facilitateur, envoie ainsi un message à sa jeunesse sur la capacité du continent à résoudre ses crises.
Vers un 14 février 2025 décisif
À moins de dix-huit mois de l’échéance, les préparatifs s’accélèrent et les consultations régionales se multiplient. Des délégations libyennes sont attendues tour à tour à Kinshasa, Alger et Pretoria afin d’harmoniser les garanties sécuritaires. La présidence congolaise demeure confiante, tout en rappelant que le succès de la démarche dépendra de l’adhésion des parties libyennes elles-mêmes. « Nous proposons un cadre, une méthode, un esprit ; la signature appartiendra aux Libyens », a résumé Denis Sassou Nguesso en conclusion de la réunion.
Brazzaville et la diplomatie de responsabilité
À travers ce dossier libyen, le Congo-Brazzaville consolide son image de partenaire fiable dans la résolution des conflits africains. La posture adoptée par le chef de l’État congolais illustre une approche fondée sur la patience stratégique, la neutralité de bon office et la recherche d’une légitimité ancrée dans les réalités locales. Pour de nombreux jeunes professionnels brazzavillois, cette stratégie offre un exemple tangible de la vocation internationale de leur ville, plus connue pour ses rumbas effervescentes que pour ses conciliations silencieuses.