La régulation des transferts de fonds en mutation
À l’ombre des artères bouillonnantes de Moungali, jeudi vingt-quatre juillet dernier, l’Agence de régulation des transferts de fonds a converti le ton pédagogique des derniers mois en une mise en garde solennelle. Son directeur général, Basile Jean Claude Bazebi, s’est exprimé devant un parterre mêlant autorités municipales, responsables religieux et opérateurs économiques. Au-delà du décorum institutionnel, le message était limpide : la tolérance administrative à l’égard des guichets non déclarés touche à sa fin.
Le transfert domestique d’argent, longtemps considéré comme une simple commodité sociale, a pris en l’espace d’une décennie une dimension macro-économique stratégique. Selon les estimations internes de l’ARTF, près d’un tiers des flux financiers de petit montant circuleraient encore dans des circuits échappant au radar fiscal, compromettant la lisibilité des statistiques monétaires et la mobilisation de ressources intérieures. C’est donc dans un souci d’assainissement, mais aussi d’inclusion, que l’agence entend tourner la page de la clandestinité.
Entre pédagogie et sanction, une stratégie graduelle
Instituée par la loi d’avril deux mille douze, l’ARTF n’a pas toujours eu les moyens de ses ambitions. Durant la première phase de sa campagne, lancée en deux mille vingt-trois, elle a privilégié la sensibilisation et la formation des acteurs. Des modules de conformité ont essaimé de Poto-Poto à Talangaï, mettant l’accent sur la traçabilité des transactions, la lutte contre le blanchiment et la protection des consommateurs. Le directeur Bazebi estime qu’« une large frange du secteur travaille déjà à ciel ouvert », preuve que la persuasion n’a pas été vaine.
Reste une minorité tenace. Pour elle, le législateur a prévu un arsenal gradué dont les montants, jusqu’à cinquante millions de francs CFA d’amende, matérialisent la volonté de l’État d’en finir avec les zones grises. Au-delà des chiffres, la nouveauté réside dans la coordination interministérielle annoncée. Police économique, impôts, municipalités et même services de télécommunication ont été invités à partager leurs bases de données, histoire de repérer les points de service qui, malgré la signalétique tapageuse, omettent toujours de s’enregistrer.
Des impératifs fiscaux au service du développement
Si le dispositif peut paraître coercitif, l’argumentaire officiel s’appuie sur des motivations de développement. Les recettes attendues, une fois le secteur formalisé, devraient étoffer un budget national déjà orienté vers des investissements à effet d’entraînement, notamment l’électrification périurbaine et l’entretien des voiries. Le ministère des finances évalue à plusieurs dizaines de milliards de francs CFA le potentiel fiscal annuel encore inexploité. Dans un contexte où les cours internationaux des matières premières demeurent volatils, diversifier la base de revenus domestiques apparaît comme un rempart contre les aléas externes.
Le professeur d’économie Didier Mabika rappelle que « chaque transaction légalement déclarée renforce la confiance globale et favorise l’intermédiation bancaire ». Le propos rejoint les objectifs de bancarisation affichés dans la stratégie nationale d’inclusion financière. La même logique prévaut pour l’identification numérique des usagers, perçue comme un levier supplémentaire de lutte contre la fraude et l’usurpation d’identité.
Perspectives 2027 : cap sur une économie formalisée
La feuille de route dévoilée par l’ARTF se projette à l’horizon deux mille vingt-sept. À cette date, le régulateur ambitionne d’ériger le transfert de fonds en véritable vecteur de financement du développement, à l’instar des expériences réussies au Kenya ou au Ghana. Cela suppose une participation active des banques et des institutions de microfinance, invitées à démocratiser des produits adaptés aux petits épargnants. Dans cette perspective, plusieurs établissements testent déjà des corridors de paiement compatibles avec la monnaie numérique de la Banque des États de l’Afrique centrale.
Pour les usagers de Brazzaville, l’enjeu est double. D’abord, disposer d’un réseau sécurisé, capable d’assurer la disponibilité des liquidités à tout moment. Ensuite, bénéficier de tarifs encadrés qui découragent la tentation de recourir à des opérateurs clandestins. La vice-présidente de l’Association des femmes commerçantes, Marie-France Pouabou, y voit « une avancée susceptible de protéger le fruit de notre labeur quotidien ».
Au sortir de la réunion de Moungali, la tonalité était donc à la responsabilité partagée. Les autorités entendent faire respecter la loi, mais promettent un accompagnement technique pour les entrepreneurs désireux de se mettre en règle. Le pari est ambitieux : consolider la souveraineté financière tout en préservant la diversité d’un secteur qui, bon an mal an, soutient la vitalité des marchés urbains. La trajectoire adoptée, conjuguant pédagogie initiale et coercition finale, reflète une volonté d’équilibre. Reste désormais à mesurer sur le terrain la capacité des différentes parties prenantes à jouer la partition de la conformité durable.