Des symptômes qui ne trompent pas
Les premiers frissons ont parcouru les rives du fleuve Congo dès le 10 juillet 2025, quand des cas groupés de diarrhées aiguës, assorties de fièvre et de vomissements, ont été signalés par des infirmiers du poste de santé de Ngabé. Les prélèvements, acheminés au laboratoire national, ont confirmé la présence de Vibrio cholerae sérogroupe O1, sérotype Ogawa, scellant l’hypothèse redoutée par les épidémiologistes.
En moins de trois semaines, le district sanitaire de l’île Mbamou a recensé 103 patients répondant à la définition de cas suspect, tandis que 12 décès probables ont été dénombrés. L’Organisation mondiale de la santé, déjà mobilisée dans la sous-région, note que cette résurgence s’inscrit dans un contexte de recrudescence observée en Angola et en République démocratique du Congo.
Une déclaration d’épidémie assumée
Après vérification des résultats au laboratoire de référence, le ministre de la Santé et de la Population, Jean-Rosaire Ibara, a officiellement déclaré l’épidémie le 26 juillet. La promptitude de l’annonce est saluée par plusieurs acteurs du secteur, à l’image du Dr Solange Oba, épidémiologiste à l’Université Marien-Ngouabi, pour qui « nommer le danger sans délai permet de mobiliser plus vite les ressources humaines et logistiques ».
Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, un centre de coordination opérationnelle a été installé au sein de la direction départementale de la santé. Ce dispositif, déjà éprouvé lors de précédentes alertes sanitaires, garantit une chaîne décisionnelle claire et la mutualisation des moyens entre ministère, forces de sécurité civile et municipalités riveraines.
Mesures de riposte : cap sur la prévention
La stratégie nationale repose d’abord sur la prévention communautaire. Des spots radiophoniques en lingala, kituba et français détaillent les gestes barrières : lavage systématique des mains, consommation d’eau traitée par chloration ou ébullition, cuisson prolongée des aliments. Dans les écoles et les marchés flottants, des relais bénévoles distribuent du savon et des pastilles de purification.
Parallèlement, huit points de chloration ont été installés sur les berges afin de sécuriser l’approvisionnement en eau. Pour le Dr Marius Boko, coordonnateur du programme Eau-Hygiène-Assainissement, « l’accès gratuit à de l’eau salubre est le socle de la riposte ». Les marins-pêcheurs de Mbamou, utilisateurs quotidiens du fleuve, se disent « rassurés » par ces dispositifs, tout en reconnaissant que la vigilance doit rester constante.
Prise en charge : rapidité et gratuité
Au centre de traitement de référence installé à Kintélé, les malades reçoivent réhydratation orale ou intraveineuse, antibiothérapie ciblée et nutrition adaptée. La gratuité des soins, rappelée dans une circulaire signée du Premier ministre, lève un frein financier majeur pour des familles modestes.
À ce jour, 72 patients sont sortis guéris. Le Dr Richard Ndinga, chef de service, souligne que « le délai d’accueil ne dépasse pas deux heures entre l’arrivée d’un patient et l’initiation du traitement », une célérité que la littérature scientifique considère déterminante pour réduire la létalité.
Partenariat international et coordination régionale
L’OMS fournit des kits d’analyses rapides, tandis que l’UNICEF soutient la logistique en tablettes de chlore et en bâches pour points d’eau. Le Centre africain de contrôle des maladies facilite, de son côté, l’échange de données épidémiologiques entre Brazzaville, Kinshasa et Luanda, illustrant l’approche One Health promue au sein de la CEEAC.
Afin d’éviter toute fermeture précipitée des frontières fluviales, les ministères congolais des Transports et de la Santé ont conjointement édité un protocole de contrôle sanitaire des embarcations, équilibrant impératif de santé publique et maintien des échanges commerciaux.
Défis structurels et pistes de renforcement
Si la riposte s’avère jusqu’ici efficace, plusieurs défis pointent à l’horizon. L’urbanisation rapide des rives et l’insuffisance de systèmes d’assainissement pérennes favorisent les contaminations croisées. À ce sujet, l’ingénieur hydraulique Alain Makosso rappelle que « chaque saison des pluies met en lumière le besoin d’investissements durables dans les réseaux d’égouts ».
Le gouvernement indique avoir inscrit, dans le plan national de développement 2023-2027, un programme de modernisation hydraulique et de promotion des toilettes modernes pour un investissement cumulé de 45 milliards de francs CFA. Ces engagements financiers témoignent d’une volonté d’ancrer la prévention au cœur des politiques publiques.
Responsabilité citoyenne et horizon de sortie
Au-delà des dispositifs institutionnels, la réussite passe par l’adhésion collective. Les leaders communautaires de l’île Mbamou, réunis sous l’égide de l’adjoint au maire de Brazzaville, ont instauré des sessions quotidiennes d’information et des patrouilles de sensibilisation nocturnes pour renforcer l’observance des mesures d’hygiène.
Les experts restent prudents quant à l’issue de l’épidémie, mais la courbe des nouvelles admissions, actuellement en plateau, laisse espérer un reflux prochain. Dans l’attente, la discipline individuelle, la continuité des approvisionnements en intrants médicaux et la coopération transfrontalière demeurent les clés de voûte d’une sortie de crise durable.
Perspectives sanitaires sous le ciel congolais
L’épisode de choléra à l’île Mbamou rappelle, s’il le fallait, que la santé publique est un bien commun exigeant anticipation, transparence et solidarité. Les mesures rapides déployées par les autorités congolaises, galvanisées par un leadership assumé, illustrent la capacité du pays à conjuguer réactivité et collaboration internationale.
Alors que Brazzaville s’apprête à retrouver sa quiétude, l’enjeu consiste désormais à transformer l’urgence en levier d’améliorations structurelles. Le fleuve poursuivra son cours, mais les eaux troubles, elles, gagneraient à devenir plus claires, à la faveur d’un investissement continu dans l’hygiène urbaine et la résilience communautaire.