Brazzaville retient son souffle devant le cercueil tricolore
La cour du Camp 15 Août, saturée par une chaleur moite, n’a jamais paru aussi silencieuse. Le drapeau national, impeccablement plié, recouvre le cercueil en bois noble où repose Florian Cyr Malonga. Autour, les képis écarlates des Forces armées congolaises se confondent avec les uniformes bleu nuit des anciens enfants de troupe. « Il incarnait l’esprit de service sans tapage », glisse Rémy Ayayos Ikounga, président de l’Association des anciens enfants de troupe (AET), dans une atmosphère où le recueillement domine la moindre respiration.
Héritage scolaire d’une République en quête d’élites
Né le 16 juin 1956 dans un Bacongo encore marqué par les saveurs d’une capitale post-indépendance, Florian Cyr Malonga suit la filière classique des écoles confessionnelles avant leur nationalisation. Les archives de l’Inspection d’académie rappellent qu’il décroche son Certificat d’études primaires à Sainte-Agnès, temple laïcisé des savoirs populaires. En 1970, la toute nouvelle École militaire préparatoire des cadets de la révolution l’accueille dans ses rangs. Ce choix, explique l’historien Martial Oba, « était l’illustration d’un projet d’État visant à former une élite patriotique capable de relayer la modernité socialiste de l’époque ».
Un officier forgé par l’exercice et la discipline
Le 1ᵉʳ juillet 1977, après sept années d’entraînement et un Brevet para déjà décroché avant même sa sortie d’école, Malonga rejoint l’Armée populaire nationale, future colonne vertébrale des Forces armées congolaises. Les témoignages de ses camarades de promotion décrivent un sous-lieutenant discret, adepte des réveils avant l’aube pour « dompter la fatigue avant qu’elle ne nous rattrape ». Diplômé de plusieurs stages à Fontainebleau, il se spécialise dans la logistique opérationnelle, un domaine stratégique dans un pays où la géographie forestière impose ses propres règles. Sa progression régulière jusqu’au grade de colonel, atteinte sans coup d’éclat médiatique, s’enracine dans une réputation de rigueur et d’écoute, qualités souvent soulignées par le haut commandement.
Le meneur de jeu qui dribblait la morosité
Ceux qui ne l’ont connu qu’en uniforme ignorent parfois sa passion invétérée pour le football. Dès la classe de sixième, il orchestre les victoires de son équipe interclasses en renard des surfaces. En 1973, l’Interclub de Brazzaville l’enrôle dans sa section football – prélude à un double engagement, militaire et sportif. L’ancien international Théophile Nkoulou se souvient d’un « milieu organisateur capable de renverser un match par une passe sans regarder ». Cette joie du jeu, qu’il cultive jusque dans les tournois de vétérans du quartier, alimentait un leadership non hiérarchique, façonné par la camaraderie plus que par les galons.
Bacongo, laboratoire d’une mémoire partagée
À la fin des années 2000, le colonel prend part à la « plateforme sur l’histoire de Bacongo », un cercle de réflexion citoyenne soutenu par la municipalité et le ministère de la Culture. Il y dirige la Commission sport et loisirs, convaincu que le récit d’une ville se tisse aussi sur les terrains vagues et les gradins des stades. « Restituer la petite histoire, c’est renforcer la grande Histoire », plaidait-il lors d’un colloque local en 2015, appelant à inventorier les terrains de jeu de l’arrondissement comme patrimoine immatériel. Son investissement dans ce projet prouve qu’une carrière d’armes peut se prolonger dans la diplomatie des archives et la médiation culturelle.
Retraite officielle, service officieux
Le 1ᵉʳ juillet 2017, l’arrêté portant admission à la retraite lui est notifié. Pourtant, ces six dernières années, on l’apercevait encore devant les stèles commémoratives, expliquant à de jeunes scouts la symbolique des décorations militaires. « Il estimait qu’un officier ne quitte jamais véritablement le champ de bataille civique », souligne l’AET Antoine Ntouary, orateur de l’oraison funèbre. Sa mort le 11 juillet 2023 à Brazzaville ferme un chapitre, mais ouvre, pour nombre de jeunes observateurs, une réflexion sur la notion de service public durable.
Une figure pour penser la relève générationnelle
Au-delà des hommages, la trajectoire de Florian Cyr Malonga interroge la capacité de l’espace urbain à produire de nouveaux leaders transversaux, capables de conjuguer discipline, sport et mémoire communautaire. Le sociologue Urbain Goma voit dans cet héritage « un prisme qui rappelle aux jeunes Brazzavillois que l’engagement n’est pas un sprint, mais une somme de relais successifs ». Dans une capitale bouillonnante où l’économie informelle côtoie les ambitions numériques, l’exemple de l’ancien colonel démontre que la cohérence de parcours reste un atout aussi solide qu’un brevet para.
Épilogue d’un soldat citoyen
Le crépitement du clairon a retenti avant que le cercueil ne s’éloigne vers le carré réservé aux officiers. Quelques gerbes de fleurs mêlées aux fanions de l’AET ont refermé la cérémonie. Mais, dans les rues de Bacongo, les souvenirs de passes lumineuses sur terrain sablonneux et de conseils prodigués au détour d’une ruelle continuent de vibrer. L’hommage rendu ne signe pas seulement la fin d’une vie exemplaire : il pose la question, adressée à toute une génération, de la noblesse désintéressée du service commun.