Un coup de maître sur l’échiquier lexical
Quand, le 26 juillet, Briny Oscar Matouridi a franchi les portes de la primature, le bruit métallique de ses cinq médailles a résonné comme une ponctuation retentissante à l’été brazzavillois. Le jeune homme, à peine dix-sept ans, venait présenter au Premier ministre Anatole Collinet Makosso le fruit d’une équipée victorieuse aux 53es Championnats du monde francophones de Scrabble tenus à Trois-Rivières, au Québec. Deux médailles d’or, une d’argent et deux de bronze constituent une récolte qui, dans la hiérarchie internationale, surclasse non seulement la catégorie « Espoirs », mais également les rangs seniors, vétérans et diamants, d’ordinaire chasse gardée de fins stratégistes linguistiques.
Brazzaville portée par la vague d’un succès juvénile
Sur la terrasse ombragée où se pressaient caméras et conseillers, le champion a déclaré « être fier d’avoir hissé haut le drapeau du Congo ». Cette phrase, simple et lumineuse, a fait écho à l’enthousiasme palpable dans les cercles scolaires et universitaires de la capitale. Dans plusieurs lycées, des clubs improvisés reproduisent désormais les plateaux de jeu pour comprendre la tactique qui a permis à l’adolescent de maîtriser des tirages réputés imprenables. La Fédération congolaise de Scrabble, encore modeste dans ses moyens, rapporte une hausse de 42 % des nouvelles licences depuis l’annonce du palmarès canadien, un afflux qui confirme le pouvoir fédérateur d’une victoire individuelle.
L’État mise sur l’intelligence compétitive
Le Premier ministre a salué une performance qui « prouve qu’en encadrant les jeunes dans un élan optimiste, demain, le Congo pourra être inscrit parmi les grandes nations ». Derrière la formule, se dessine l’esquisse d’une stratégie gouvernementale : mobiliser les jeux de l’esprit comme vecteurs d’excellence académique et, partant, de rayonnement international. Hugues Ngouélondélé, ministre de la Jeunesse et des Sports, a confirmé la mise à disposition d’un budget dédié au développement du Scrabble scolaire, évoquant la fourniture de plateaux homologués et la formation d’entraîneurs certifiés par la Fédération internationale. Selon son cabinet, il ne s’agit pas d’un simple geste ponctuel, mais d’une inscription durable des sports cérébraux dans les priorités nationales, dans la lignée des orientations présidentielles en faveur de la jeunesse créative.
Diplomatie sportive et soft power linguistique
Au-delà du plaisir ludique, le succès de Matouridi réactive une réflexion plus vaste sur le soft power congolais. Depuis l’Organisation internationale de la Francophonie jusqu’aux fédérations africaines, la visibilité d’un talent congolais dans une discipline hautement verbale rappelle que « la langue est aussi un terrain de compétition », selon les mots de la linguistique Ndongo Mbembé, observatrice des tournois africains. Le Scrabble, en faisant dialoguer performance sportive et maîtrise lexicale, positionne Brazzaville comme un carrefour où se rencontrent développement intellectuel et affirmation culturelle. Déjà, des invitations circulent pour que Matouridi participe à des démonstrations lors des prochaines semaines de la Francophonie, tandis que des partenariats scolaires transfrontaliers sont envisagés.
Des perspectives à ouvrir sur l’ensemble du territoire
Si la capitale vit à l’heure du Scrabble, les enjeux résident aussi dans la diffusion de cette dynamique vers l’intérieur du pays. Les experts de la Direction générale des Sports insistent sur l’importance de centres de formation régionaux, afin que les bassins de talents de Pointe-Noire, Dolisie ou Ouesso ne demeurent pas en marge. À terme, une ligue nationale structurée offrirait un vivier compétitif capable de soutenir la relève de Matouridi et de bâtir une tradition pérenne. Les économistes de la culture n’excluent pas non plus l’émergence d’un micro-tourisme événementiel, attiré par des tournois internationaux organisés sur les rives du fleuve Congo, avec des retombées hôtelières et médiatiques mesurables.
L’héritage immédiat d’une prouesse juvénile
Dans une société où la réussite sportive demeure souvent associée aux explosivités footballistique ou athlétique, la consécration d’un stratège des lettres offre une respiration bienvenue. L’histoire se souviendra peut-être qu’un 26 juillet, un adolescent fit scintiller ses médailles sous les lambris officiels, rappelant qu’aucune ambition n’est trop audacieuse pour la jeunesse congolaise. Fort de cet élan, le gouvernement entend faire du Scrabble un laboratoire d’innovation pédagogique, tandis que Matouridi, désormais figure inspirante, prépare déjà la défense de ses titres lors des mondiaux 2024 prévus à Abidjan. Le dernier mot n’a décidément pas encore été posé sur la grille, et c’est tout le Congo qui espère continuer à conjuguer son futur au plus-que-parfait de la réussite.