Un exploit juvénile qui résonne à Trois-Rivières
Du 10 au 18 juillet 2025, le Centre des congrès de l’hôtel Delta Marriott, niché à Trois-Rivières dans la province francophone du Québec, s’est transformé en agora de la linguistique compétitive. Venus d’une trentaine de pays, deux cent quatre-vingt-six joueurs ont disputé les cinquante-troisièmes championnats du monde organisés par la Fédération internationale de scrabble francophone (FISF). Parmi eux, un adolescent de Brazzaville, Briny Oscar Kouba Matouridi, inscrit presque incognito grâce au concours conjugué de sa famille, de son association et de mécènes discrets.
Neuf jours plus tard, l’anonymat avait changé de camp. Avec un score cumulé de moins vingt-huit et un taux de réussite de quatre-vingt-dix-neuf pour cent, le jeune joueur s’adjugeait cinq médailles, dont trois en or, terminant premier ex-æquo du classement général. L’image de son large sourire brandissant le drapeau tricolore congolais a parcouru les réseaux sociaux avant d’être relayée par les grandes agences de presse, rappelant que la francophonie sportive ne se limite plus aux disciplines olympiques.
Les rouages d’une performance statistiquement rare
Le triple titre — champion du monde Toutes catégories en Top Huit, champion junior et vainqueur du Défi des jeunes — relève autant de la statistique que du talent. Atteindre moins vingt-huit, c’est ne laisser filer qu’une poignée de points sur plus de deux mille possibles, face à des logiciels d’arbitrage qui sanctionnent la moindre hésitation. « C’est un subtil dosage entre mémoire lexicale, gestion du stress et vision stratégique de la grille », analyse Me Philippe Oboum, arbitre international basé à Paris, rappelant que le meilleur score de la décennie oscillait autour de moins quarante.
Selon ses proches, Kouba Matouridi s’entraîne quotidiennement depuis l’âge de onze ans, combinant partie Blitz sur application mobile, études étymologiques et séances de visualisation mentale inspirées de la préparation aux échecs. Son coach, l’ingénieur-linguiste Arnaud Mavoungou, évoque une « discipline d’athlète » où l’endurance cognitive prime. Le jeune champion confie pourtant pratiquer la musique traditionnelle mbochi pour équilibrer sa semaine, preuve que la performance intellectuelle s’enracine dans une hygiène de vie globale.
Une diplomatie sportive saluée au sommet de l’État
À son retour, le 26 juillet, le hall de l’aéroport Maya-Maya a résonné des applaudissements d’une foule bigarrée. Le ministre des Sports, Hugues Ngouélondélé, l’a accueilli en évoquant « une victoire exemplaire pour la jeunesse congolaise ». Dans la foulée, le Premier ministre Anatole Collinet Makosso a reçu le lauréat. « Vous devenez l’ambassadeur des rêves possibles », lui a-t-il déclaré, promettant d’explorer l’insertion du scrabble dans les programmes parascolaires.
Le geste est plus qu’honorifique. À travers la reconnaissance officielle, Brazzaville confirme sa stratégie d’ouvrir la diplomatie sportive aux disciplines émergentes. Elle complète les succès récents obtenus en judo ou en handball féminin et offre un contre-champ positif dans le récit national. De nombreux observateurs notent que cette soft power ludique, relativement peu coûteuse, promeut une image d’excellence intellectuelle et de pluralisme culturel qui s’exporte bien auprès des diasporas.
Scrabble et éducation : vers un outil pédagogique majeur
Au-delà du prestige, les médailles de Kouba Matouridi relancent une question déjà débattue à l’Université Marien-Ngouabi : la ludification peut-elle améliorer l’apprentissage du français et des mathématiques ? Plusieurs études conduites à Dakar et Montréal montrent un accroissement de trente pour cent de la vitesse de lecture chez les collégiens pratiquant le scrabble scolaire. Les ministères congolais de l’Éducation et de la Culture envisagent donc un projet pilote dans six établissements urbains dès la prochaine rentrée.
Le professeur de didactique Cécile Dzingui souligne que le jeu favorise également la cohésion intergénérationnelle. « Dans une même partie, un retraité, un adolescent et un fonctionnaire dialoguent par le biais des lettres. C’est un ciment social discret mais précieux. » L’intégration institutionnelle du scrabble pourrait par ailleurs ouvrir des débouchés pour une filière d’arbitrage et d’encadrement, créant des emplois qualifiés dans un secteur encore vierge.
Un horizon continental pour les sports de l’esprit
La trajectoire ascendante du jeune Brazzavillois résonne dans un contexte panafricain marqué par l’essor des sports de l’esprit. La Confédération africaine de scrabble, réunie en novembre prochain à Abidjan, prévoit d’instaurer un circuit junior continental afin de mutualiser l’expertise technique et d’attirer des partenariats privés. Les succès congolais offrent un précédent mobilisateur qui pourra fédérer les fédérations voisines autour d’objectifs communs de formation et de professionnalisation.
À dix-sept ans, Briny Oscar Kouba Matouridi reste prudent. « Mon plus grand défi est de garder l’envie d’apprendre », confie-t-il avec un sourire fragile. Derrière la modestie, beaucoup lisent déjà la promesse d’un avenir où Brazzaville, capitale littéraire à sa façon, continuera d’aligner ses lettres pour faire parler la jeunesse et les statistiques. Dans la grille du scrabble mondial, le Congo vient de poser un mot compte triple sur la case prestige.
