Un geste qui s’inscrit dans une diplomatie alimentaire
Au cœur d’un mois de juillet écrasé par la torpeur saisonnière, l’ambassade du Japon à Brazzaville a choisi le registre discret mais percutant des chiffres : deux millions de dollars, soit 1 141 milliard de francs CFA, mis sur la table pour appuyer l’effort humanitaire congolais. En apparence, il s’agit d’un don en nature – riz étuvé et boîtes de maquereaux – destiné au Programme alimentaire mondial. En profondeur, c’est l’expression d’une diplomatie que Tokyo qualifie volontiers de « proactive pour la paix », un soft power grain par grain, repas après repas.
La démarche n’est pas nouvelle. Depuis 2019, le Japon a déjà mobilisé 14,3 millions de dollars en faveur des opérations du PAM au Congo. « Cette constance démontre qu’il ne s’agit pas d’une opération-coup de communication, mais d’un partenariat stratégique », confie un fonctionnaire onusien sous couvert d’anonymat. L’argument est d’autant plus audible que la pandémie puis les tensions sur les marchés céréaliers ont accentué la vulnérabilité de plusieurs départements congolais.
Impacts attendus sur la carte scolaire congolaise
Les statistiques éducatives rappellent que l’abandon scolaire bondit dès que l’assiette se vide. Or, l’allocation japonaise doit soutenir plus de 18 000 élèves dans sept départements, de la Bouenza à la Sangha. « Un repas offert à l’école peut être le moteur de l’espoir, de l’ambition et de la dignité retrouvée », a insisté Maekawa Hidendenobu, chargé d’affaires par intérim, lors de la remise officielle.
Dans les cantines subventionnées, un plat chaud garantit non seulement l’assiduité mais aussi une meilleure concentration, paramètre clé pour des zones rurales où le coût d’opportunité de l’éducation reste élevé. À Madingou comme à Mindouli, des directeurs d’établissement observent déjà une hausse des inscriptions à la rentrée suivant l’arrivée des stocks PAM. Cet effet d’entraînement contribue, en creux, à la mise en œuvre du Programme national de développement 2022-2026 qui fait de la formation du capital humain le socle de la diversification économique.
Réfugiés de Likouala à Pool, le bol de riz comme rempart
Sur les 34 000 bénéficiaires, près de 16 000 sont des réfugiés centrafricains ou rwandais hébergés principalement dans la Likouala, la Cuvette et le Pool. Dans ces districts forestiers, la logistique est un défi quotidien : pistes latéritiques impraticables quatre mois par an, carburant rare, communications aléatoires. « Chaque sac de 50 kg acheminé jusque dans les sites de Bétou ou de Kintélé est une petite victoire contre l’insécurité alimentaire », note Gon Myers, représentant du PAM, saluant la « générosité inébranlable » de Tokyo.
Le lien entre aide alimentaire et stabilité sécuritaire est ici manifeste. Des rations régulières réduisent les tensions entre communautés hôtes et populations déplacées, tout en évitant les mouvements secondaires vers la capitale. Pour les autorités congolaises, c’est une contribution pragmatique au maintien d’un climat social apaisé, préalable indispensable aux projets d’intégration régionale que Brazzaville promeut au sein de la CEEAC.
Une coopération bilatérale en chiffres et en symboles
Deux millions aujourd’hui, quatorze millions hier : les chiffres alignés par l’ambassade rappellent qu’au-delà de la philanthropie, la coopération nippo-congolaise s’inscrit dans le temps long. Depuis 2016, plusieurs protocoles ont été signés dans l’agro-industrie, la formation, voire la prévention des catastrophes. Tokyo raffermit ainsi sa présence en Afrique centrale, tandis que Brazzaville diversifie ses partenaires sans compromettre sa doctrine de non-alignement traditionnelle.
Sur le plan symbolique, l’image du riz japonais – produit d’un archipel industrialisé – partagé dans les plateaux et vallées du Congo véhicule une idée simple : l’interdépendance des nations face aux dérèglements climatiques et aux crises de marchés. « Aucun enfant ne devrait être contraint de choisir entre apprendre et manger », a martelé Maekawa, reprenant une formule désormais inscrite dans les communiqués conjoints des deux gouvernements.
Au-delà des sacs de riz, des perspectives de résilience
Si l’urgence commande de remplir les greniers, la stratégie conjointe entend aussi préparer l’après-aide. Le PAM prévoit d’utiliser une partie du don pour appuyer des jardins scolaires et des activités génératrices de revenus autour des camps de réfugiés. L’idée est de réduire progressivement la dépendance aux importations, tout en offrant aux familles un surplus commercialisable sur les marchés locaux. « L’assiette de demain se cultive dès aujourd’hui », résume un technicien agricole rencontré à Impfondo.
Cette orientation vers la résilience résonne avec les priorités nationales : relance de la production vivrière, amélioration de la nutrition et réduction de la pauvreté. Autant de chantiers que le gouvernement entend porter sur la scène internationale lors du prochain Forum sur la souveraineté alimentaire d’Afrique centrale prévu à Brazzaville. D’ici là, le convoi humanitaire financé par Tokyo aura déjà parcouru plusieurs milliers de kilomètres de latérite. Dans chaque village, la même équation se répétera : un sac de riz, une portion de poisson et, en filigrane, l’idée que la solidarité peut valoir monnaie d’échange fiable.