Brazzaville vibre à l’heure du FESPAM
Le soir du 26 juillet, les jardins du Palais des congrès se sont transformés en une scène grandiose où se reflétaient les reflets cuivrés du fleuve Congo. Deux cent cinquante artistes congolais, rejoints par un collectif malien, ont offert au public un tableau vivant consacré à « l’Année de la jeunesse ». Vêtus de tissus chatoyants, ils ont fait résonner la rumba, le slam et de savantes fusions urbaines, composant un patchwork sonore qui a tenu la capitale en haleine durant deux heures d’un souffle ininterrompu.
Présent dans la tribune officielle, le président Denis Sassou Nguesso, accompagné de la Première dame, a longuement applaudi les séquences chorégraphiques et les acrobaties millimétrées. Autour de lui, sénateurs, députés, membres du gouvernement et représentants d’organisations internationales se pressaient, témoignant de la portée institutionnelle du FESPAM. « Nous voulions que chaque note soit un rappel de notre cohésion », confie la slameuse Mariusca Moukengue avant de monter sur scène.
Le pari d’une unité culturelle panafricaine
En plaçant la jeunesse au centre de son récit, le festival a relevé un double défi : rendre hommage à la diversité africaine tout en consolidant un socle identitaire partagé. Les pas de danse kongo répondaient ainsi aux rythmes mandingues, tandis que l’éloquence slamée mettait en miroir le lingala et le bambara. Les artistes ont martelé l’idée d’une Afrique plurielle mais solidaire, convoquant l’imaginaire des indépendances sans céder au folklore figé.
Mariusca Moukengue évoque « un pont entre la tradition et les rêves modernes d’un continent jeune ». Pour Gervais Tomadiatunga, réputé pour ses métissages chorégraphiques, « la scène de Brazzaville est une agora où les identités dialoguent, loin des frontières administratives ». Ces propos résonnent avec la philosophie du FESPAM, institution placée sous l’égide de l’Union africaine depuis 1995, qui entend utiliser la musique comme langage diplomatique.
Genèse et évolution du festival, un levier diplomatique
Créé à une époque charnière marquée par la renaissance des grandes rencontres culturelles africaines, le FESPAM s’est hissé au rang d’événement continental incontournable. Son organisation biennale, assurée par le Congo, contribue à positionner Brazzaville comme une capitale culturelle, une vocation que l’histoire urbaine de la ville ne cesse de conforter depuis les années 1950.
L’édition 2023 a conservé la dynamique scientifique du festival, articulée autour de colloques et d’ateliers où musicologues, historiens et producteurs ont questionné les nouveaux modèles économiques de la musique. « Au-delà du spectacle, c’est une conférence permanente sur le futur des industries culturelles africaines », souligne un responsable du commissariat général. Dans ce rôle de forum, le festival nourrit une diplomatie douce, complémentaire aux chantiers d’intégration régionale.
La jeunesse congolaise au centre de la scène
Dans un Congo où plus de soixante pour cent de la population a moins de trente-cinq ans, faire du spectacle de clôture un manifeste générationnel était hautement symbolique. Les chorégraphies ont abordé le thème de la paix, rappelant combien la stabilité est le socle des aspirations créatives. Entre deux séquences slam, une volée de strophes a scandé : « Nos voix, nos choix, nos toits », invitant les jeunes à s’approprier l’avenir.
Le danseur-chorégraphe Tomadiatunga a exhorté les autorités à « accorder aux jeunes l’espace nécessaire pour expérimenter ». Ses mots rejoignent les orientations du Plan national de développement, qui identifie l’économie créative comme un secteur porteur. La présence de décideurs dans les gradins a donné à cet appel une résonance immédiate, consolidant l’idée que l’art peut être un instrument de politique publique.
Perspectives pour l’économie créative nationale
Les retombées du FESPAM dépassent la seule sphère symbolique. Hôtellerie, transport urbain, restauration et artisanat local bénéficient de l’afflux de milliers de visiteurs. Les organisateurs estiment que chaque édition génère plusieurs milliards de francs CFA de transactions directes ou induites, insufflant un souffle tangible à l’économie brazzavilloise.
Le gouvernement, qui a inscrit la culture au rang de priorité stratégique, voit dans le festival un pilote grandeur nature. L’idée d’un fonds spécifique pour l’industrie musicale, évoquée dans les allées du Palais des congrès, témoigne de la volonté d’ancrer la création dans un circuit financier structuré. Des partenaires comme la Banque africaine de développement ont déjà manifesté leur intérêt pour un accompagnement technique.
Dans cette perspective, le spectacle de « l’Année de la jeunesse » apparaît comme un jalon essentiel : il met en scène la relève et rappelle que l’unité culturelle, loin d’être un slogan, peut devenir un moteur économique durable pour le Congo et, partant, pour le continent.