Brazzaville en quête de disciplines structurantes
Sous la chaude lumière de juillet, la grande salle omnisports de Ouenzé a résonné d’un mélange singulier : le claquement des tatamis, le souffle retenu du public et le doux murmure des katas. Organisée par l’Association congolaise de Nihon Tai-jitsu et disciplines associées, la journée de démonstrations a rassemblé cent pratiquants issus de huit clubs. L’objectif affiché par les organisateurs – « maintenir la flamme technique et morale » – résonne particulièrement dans une capitale où la jeunesse cherche des repères. Le public, composé de familles, d’éducateurs et de curieux, a pu observer des séquences allant de la défense contre arme blanche aux variations de projection empruntées au ju-jitsu traditionnel.
Arts martiaux et prévention de la délinquance juvénile
En filigrane, l’ombre du phénomène des « kuluna », gangs de rue composés d’adolescents parfois armés de machettes, plane sur toute initiative citoyenne. « Nous préférons voir un jeune canaliser son énergie sur un tatami plutôt que dans une ruelle sombre », souligne Celem Mpini, président de l’association organisatrice. Selon les chiffres de la Direction générale de la police (2022), près de 35 % des actes de petite criminalité enregistrés à Brazzaville impliquent des mineurs. Les ateliers de self-défense s’inscrivent donc dans une stratégie de prévention soutenue par le ministère des Sports, lequel encourage depuis 2021 l’ouverture de sections d’arts martiaux dans les quartiers périphériques (Ministère des Sports, 2023).
Entre héritage japonais et créativité congolaise
Le Nihon Tai-jitsu, né au milieu du XXᵉ siècle sur l’archipel nippon, puise dans le sabre, la lutte et l’art subtil des luxations. Importé à Brazzaville dans les années 1990 par des expatriés puis adapté par des pionniers congolais, il a su conserver sa rigueur tout en empruntant à la gestuelle locale – notamment la façon de saluer, inspirée des danses traditionnelles du Pool. « L’essence reste japonaise, mais l’exécution porte désormais la signature de nos quartiers », analyse le maître-instructeur Stéphane Loubaki, formé à Osaka. Cette hybridation séduit des jeunes attirés par l’exotisme du kimono autant que par la proximité culturelle conférée par les entraîneurs congolais.
Un tissu associatif résilient malgré les aléas
La pandémie de Covid-19, suivie des contraintes économiques globales, a provoqué près d’un an d’interruption d’entraînement. Pourtant, au sortir de ces mois suspendus, les clubs Cœur de Lion, Œil de l’Aigle ou encore Goshin Ju-jitsu ont reconduit des entraînements bihebdomadaires, souvent dans des espaces prêtés par les écoles publiques. L’esprit de solidarité a joué à plein : chaque club a reversé une partie de ses modiques cotisations à ceux dépourvus de tatami. « Nous avons compris que le sport est un service à la communauté avant d’être une performance individuelle », rappelle Nadège Nsona, ceinture marron et étudiante en commerce international.
Perspectives d’une diplomatie sportive locale
Au-delà des démonstrations, les responsables envisagent de développer des tournois inter-arrondissements et des échanges avec Kinshasa afin de hisser le niveau régional. La mairie de Brazzaville étudie la possibilité d’intégrer un module de self-défense dans ses programmes de vacances citoyennes, tandis que la Fédération congolaise de judo propose déjà son savoir-faire logistique. Pour le sociologue du sport Dr Audrey Makosso, « la pratique martiale incarne une diplomatie douce : elle favorise la discipline, la résilience et le respect de la hiérarchie, autant de valeurs utiles à la construction d’une citoyenneté apaisée ». Dans un contexte où la cohésion sociale est une priorité gouvernementale, les tatamis pourraient bien devenir des bancs d’école informels, où se forge le civisme des villes de demain.