Un 29 juillet de réflexions sur la cohésion nationale
Les rues de Rabat se sont à peine vidées des célébrations que les analystes épluchaient déjà la longue adresse de Mohammed VI. En vingt-six ans de règne, le roi a pris l’habitude de transformer l’anniversaire de son accession au Trône en tribune stratégique. L’édition 2024 n’a pas dérogé à la règle : en fixant la correction des disparités territoriales comme exigence cardinale, le souverain a cherché à replacer la justice sociale au cœur du modèle marocain de développement. Pour le monarque, la pertinence des indicateurs macroéconomiques ne peut être reconnue que si chaque citoyen, « où qu’il vive », en ressent les retombées concrètes.
Derrière la formule protocolaire se profile un diagnostic lucide. Le Maroc appartient désormais au groupe des pays à développement humain élevé, mais les dissymétries entre littoral industrialisé et arrière-pays rural demeurent criantes. Les provinces de l’Oriental ou certaines poches du Moyen Atlas affichent encore des taux de pauvreté multidimensionnelle deux fois supérieurs à la moyenne nationale, malgré les programmes d’électrification et d’accès à l’eau initiés depuis deux décennies.
La résilience économique comme argument d’autorité
Le chef de l’État a pris soin de rappeler que le Royaume n’a pas fléchi sous les ondes de choc successives, qu’elles soient d’ordre sanitaire, géopolitique ou climatique. La progression régulière des exportations industrielles – plus de 40 % sur cinq ans selon le ministère de l’Industrie – conforte le discours officiel d’un Maroc qui diversifie ses moteurs de croissance. Les chaînes de valeur de l’automobile et de l’aéronautique, nées à Tanger Med et Nouaceur, ont alimenté un excédent partiel de la balance commerciale hors énergie, tandis que les investissements dans les énergies renouvelables consolident la réputation d’« hub vert » du continent.
Cette présentation flatteuse n’efface pas totalement les inquiétudes internes. L’agriculture, poumon social de près de 30 % de la population active, reste vulnérable à la raréfaction hydrique. D’anciens hauts fonctionnaires interrogés à Casablanca estiment que la moitié sud du pays aura besoin d’un basculement accéléré vers l’irrigation de précision pour contenir la volatilité des revenus ruraux. Le discours royal y fait écho, soulignant l’urgence d’un pilotage plus fin des ressources en eau et d’un accompagnement des petites exploitations.
Vers une cartographie rénovée de la justice sociale
Le message le plus attendu concernait la future « nouvelle génération de programmes territoriaux ». Selon un conseiller du cabinet royal, l’idée centrale consiste à baser l’allocation budgétaire non plus seulement sur la population ou le produit intérieur brut régional, mais sur un indice composite mesurant l’accès aux services essentiels, la connectivité logistique et la vulnérabilité climatique. Une telle grille marquerait une rupture méthodologique, susceptible de réallouer des crédits significatifs vers les plateaux, l’Anti-Atlas ou encore les confins sahariens.
L’implication des collectivités locales et des agences régionales d’exécution est également fortement mise en avant. Mohammed VI a insisté sur « la solidarité interterritoriale », concept qui, dans le langage technocratique de Rabat, renvoie à des mécanismes de péréquation financière analogues à ceux pratiqués par l’Union européenne entre ses régions. Des universitaires de l’Université Mohammed V rappellent toutefois que la réussite dépendra moins de la qualité des textes que de la capacité à sécuriser un suivi régulier et transparent des projets.
Réformes institutionnelles : l’ombre de 2026
L’agenda politique n’a pas été occulté. À un an à peine du début du cycle pré-électoral, le roi a chargé l’Exécutif de finaliser et de publier le nouveau Code électoral avant la fin de l’année. Dans l’esprit du palais, cette anticipation doit offrir aux partis le temps nécessaire pour se réorganiser et éviter les querelles de procédure qui avaient entaché la campagne de 2021. Plusieurs formations ont déjà salué la démarche, tout en exprimant le souhait d’un « dialogue inclusif ».
Les représentants de la société civile, de plus en plus actifs sur les questions de gouvernance locale, réclament de leur côté un plafonnement strict du financement des campagnes et une consolidation du rôle de la Cour des comptes. Le discours royal n’a pas fermé la porte, évoquant la « nécessité d’un cadre de confiance ». Les prochaines semaines devraient donc être ponctuées de consultations multipartites, scrutées de près par les chancelleries occidentales comme par les partenaires africains du Royaume.
Diplomatie et Sahara : continuité stratégique
La politique extérieure n’a été abordée qu’à la marge, mais chaque allusion a pesé. En tendant à nouveau la main à son voisin pour une normalisation bilatérale, Mohammed VI s’est inscrit dans la continuité de ses messages précédents, tout en rappelant la ligne rouge intangible de l’intégrité territoriale marocaine. Le souverain s’est félicité du soutien croissant à la proposition d’autonomie pour le Sahara, notant l’ouverture récente de consulats généraux dans les villes de Dakhla et Laâyoune.
Dans les milieux diplomatiques africains, on souligne que cette reconnaissance, venant notamment de plusieurs pays d’Afrique centrale, s’appuie aussi sur la promesse d’investissements conjoints dans les corridors logistiques transsahariens. Pour un conseiller politique basé à Brazzaville, « le Maroc consolide son rôle de passerelle entre l’Atlantique et l’intérieur du continent, une dynamique susceptible de servir l’intégration économique de la zone de libre-échange africaine ».
Entre ambition royale et attentes citoyennes
Au terme d’un quart de siècle de règne, le roi Mohammed VI propose donc une feuille de route qui conjugue modernisation économique, rééquilibrage territorial et réforme institutionnelle. Les observateurs saluent la cohérence d’ensemble, mais rappellent que la crédibilité du projet se mesurera à sa mise en œuvre concrète, loin des tribunes officielles. Ce sont, au fond, les indicateurs de bien-être dans les communes rurales du Rif ou du Drâa-Tafilalet qui trancheront. Dans une conjoncture mondiale marquée par les crispations, le Maroc entend démontrer que la résilience peut rimer avec équité, sous réserve d’un « véritable sursaut » que le discours royal place désormais au rang d’impératif national.