Un monument éditorial inattendu
Il arrive que la vie académique prenne soudain l’allure d’une prouesse éditoriale. La présentation, à Brazzaville, d’un catalogue de 2 400 pages recensant les thèses soutenues par des chercheurs congolais dans le monde entier relève de cet exploit. Publiée à l’occasion du vingtième anniversaire du Centre d’études stratégiques du bassin du Congo, l’édition 2023 se déploie en sept volumes dont le poids symbolique n’échappe à personne : c’est la première fois que la production doctorale nationale est révélée dans toute son amplitude. « Notre production intellectuelle continue de croître, il fallait la rendre visible », confie Aimé Dieudonné Mianzenza, président du Cesbc, avec la satisfaction, perceptible, de voir un rêve bibliographique se matérialiser.
Méthodologie rigoureuse et portée internationale
Derrière la liasse de papier, vingt années de travail patient et d’enquêtes croisées dans quarante pays africains, mais aussi auprès d’universités européennes, américaines et asiatiques. Chaque doctorat a fait l’objet, précise le comité scientifique, d’une authentification minutieuse afin d’éviter les polémiques sur l’origine ou la validité des diplômes, encore vives dans certains cercles professionnels. Cette démarche, soulignent les chercheurs, répond aux standards internationaux et veut renforcer la crédibilité des titulaires congolais sur un marché mondial du savoir de plus en plus compétitif. La liste, dominée par les sciences humaines, le droit, l’économie et les mathématiques, reflète un foisonnement disciplinaire que la diaspora, souvent installée à Paris, Bruxelles ou Montréal, avait rendu difficile à cartographier jusqu’ici.
La naissance d’un tel outil de référence simplifie désormais le travail des décideurs publics, des responsables universitaires et des bailleurs de fonds. Elle offre également à la communauté scientifique l’opportunité de mesurer, données à l’appui, les tendances d’une recherche congolaise encore en quête de financements pérennes.
Un miroir pour la jeunesse et les décideurs
Au-delà des chiffres, l’ouvrage agit comme un miroir tendu à la nouvelle génération. Dans les couloirs de l’Université Marien-Ngouabi, on évoque déjà la possibilité d’un « effet d’entraînement » : voir figurer près de 2 000 noms congolais dans un répertoire mondial de la science donne corps à des ambitions longtemps jugées hors de portée. « Cela prouve que l’excellence n’est pas réservée à d’autres latitudes », observe la doctorante en économie Josiane Mouyabi, qui y voit aussi un appel implicite à la responsabilité des autorités pour consolider les filières de recherche prioritaires alignées sur le Plan national de développement 2022-2026.
Du côté des ministères sectoriels, la base documentaire pourrait servir de boussole pour identifier des compétences rares, mobilisables sur des chantiers stratégiques : réformes du droit des affaires, modélisation économique, gestion durable des écosystèmes forestiers. L’idée d’une banque de talents nationaux, accessible et vérifiée, tranche avec le sentiment de « dispersion intellectuelle » souvent déploré lors des grands sommets africains sur l’innovation.
Du papier au digital, l’enjeu de la diffusion
Le Cesbc a fait le choix d’une commercialisation en intégralité et sur commande, gage de viabilité financière mais frein à la popularisation immédiate. Le débat est donc ouvert : faut-il privilégier la rareté bibliophilique ou opter pour une version numérique librement consultable ? Pour l’instant, Aimé Dieudonné Mianzenza plaide pour un modèle hybride, assurant la vente du coffret imprimé tout en travaillant à la mise en ligne d’extraits indexés. Une telle évolution s’inscrirait dans la stratégie gouvernementale de transformation numérique et offrirait aux étudiants de l’arrière-pays un accès égal à la documentation académique.
Recherche et climat, l’autre front du Cesbc
La présentation du catalogue a coïncidé avec une table ronde sur le financement carbone, thème qui résonne fortement dans un pays abritant une partie du deuxième massif forestier mondial. « L’avenir de l’humanité est en jeu », a rappelé M. Mianzenza, exhortant les chercheurs congolais à convertir leurs thèses en solutions concrètes, notamment pour l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques. Le dialogue, auquel ont participé des économistes du climat et des représentants du ministère de l’Économie forestière, illustre la convergence entre recherche académique et priorités diplomatiques : sécuriser des mécanismes de marché du carbone respectueux de la souveraineté nationale tout en attirant des investisseurs conscients de la valeur environnementale du bassin du Congo.
Cap sur une diplomatie du savoir made in Congo
Avec soixante-sept ouvrages déjà publiés par Cesbc-Presses et un catalogue doctoral sans équivalent régional, la République du Congo pose les jalons d’une diplomatie du savoir où l’expertise côtoie la mise en récit de ses réussites. Dans un contexte international marqué par la compétition pour les cerveaux et les financements, ce « pavé académique » devient un atout discret mais tangible. S’il ne peut, à lui seul, résoudre les défis de l’employabilité ou de la fuite des talents, il rappelle que la valeur première d’une nation demeure la capacité de ses citoyens à produire, à échanger et à protéger des connaissances. C’est là, peut-être, la plus durable des souverainetés.