Une dynamique réformatrice au pas de charge
En coulisses, les réunions s’enchaînent au ministère des Finances. Quelques semaines seulement après une première séance constitutive tenue en octobre 2024, le Comité technique chargé d’élaborer la stratégie nationale d’inclusion financière s’est retrouvé pour dresser l’état des lieux d’un chantier considéré comme prioritaire par Brazzaville. « Le tempo est soutenu pour tenir le calendrier que s’est fixé le gouvernement », confie Dominique Ursel Tsono Ndzalé, conseiller aux institutions et à l’ingénierie financière, qui a dirigé la session. Cette célérité vise à doter le pays, dès cette année, d’un document de référence capable de guider l’ensemble des acteurs—banques, institutions de microfinance, opérateurs de monnaie électronique—vers un objectif largement partagé : porter l’accès aux services financiers essentiels à un niveau comparable à celui des économies émergentes.
À ce stade, deux livrables majeurs sont déjà sur la table : le Rapport d’évaluation de l’inclusion financière en République du Congo et le Projet de stratégie nationale d’inclusion financière. Ces textes, rédigés par l’économiste Albert Makita Mbama avec l’appui du Programme des Nations unies pour le développement, fournissent un diagnostic détaillé des forces et faiblesses du système actuel tout en traçant une trajectoire de réformes sur cinq ans.
Des recommandations adossées aux standards internationaux
Les experts, parmi lesquels des représentants de la Banque centrale, de l’Association professionnelle des établissements de crédit et plusieurs ONG spécialisées, se sont attachés à garantir la compatibilité du futur plan d’action avec les principes du Partenariat pour l’inclusion financière (AFI) et ceux du Groupe de la Banque mondiale. Cela se traduit par une exigence de clarté quant aux leviers de politique publique : accroissement de la capillarité des points de service, digitalisation des paiements, protection des consommateurs et renforcement de la littératie financière. « Il ne s’agit pas de copier-coller un modèle générique ; l’enjeu est de calibrer la réponse aux réalités sociologiques et géographiques congolaises », précise Albert Makita Mbama.
Les premiers retours du comité technique soulignent la cohérence des indicateurs de suivi proposés : taux d’inclusion bancaire, part des comptes mobiles actifs, volume de microcrédits accordés aux femmes et aux jeunes, taux de remboursement. Autant de métriques qui permettront de mesurer, en continu, l’impact des mesures envisagées.
Un levier pour la diversification et la résilience économiques
La consolidation d’un secteur financier plus inclusif s’inscrit dans la feuille de route macroéconomique du pays, qui cherche à réduire sa dépendance historique aux hydrocarbures. L’accès accru au crédit doit faciliter l’essor d’activités à forte valeur ajoutée dans l’agro-industrie, les services numériques ou le tourisme intérieur. « Nous voulons faire émerger une classe moyenne entrepreneuriale ancrée sur l’ensemble du territoire, pas uniquement dans les grands centres urbains », insiste un cadre du ministère du Plan.
Au-delà de la création de richesses, l’inclusion financière est perçue comme un outil de cohésion sociale. Les populations vulnérables—femmes cheffes de ménage, jeunes diplômés sans capital initial, travailleurs du secteur informel—pourraient, grâce à des produits adaptés, stabiliser leurs revenus et contribuer à la sécurité alimentaire. Cette orientation rejoint les engagements internationaux du Congo en matière de développement durable, notamment la réalisation de l’Objectif 8 sur le travail décent et la croissance inclusive.
Gouvernance et appropriation nationale
Pour garantir la pérennité de la stratégie, le ministère des Finances mise sur une gouvernance resserrée : comité de pilotage présidé par le ministre Christian Yoka, cellule technique animée par des cadres dédiés et consultation régulière des parties prenantes régionales. Cette architecture vise à éviter les chevauchements institutionnels et à assurer un financement durable, qu’il provienne du budget de l’État ou de partenaires techniques.
Les banques commerciales, invitées à revoir leur modèle de distribution, accueillent favorablement la démarche. « L’extension du réseau d’agences ou de guichets mobiles est un investissement, certes, mais le potentiel de clientèle est considérable », observe le directeur d’une banque panafricaine implantée à Brazzaville. Les acteurs de la Fintech, de leur côté, voient dans la stratégie un cadre propice à l’expérimentation de solutions de paiement basées sur la téléphonie mobile, secteur où le taux de pénétration dépasse désormais 85 %.
Validation finale et feuille de route opérationnelle
Une dernière réunion technique est prévue avant la fin août pour intégrer les ultimes ajustements relatifs à la terminologie, à l’alignement avec les lois en vigueur et à la ventilation des responsabilités institutionnelles. Les documents consolidés seront ensuite transmis au ministre Christian Yoka, dont la signature ouvrira la voie à une adoption en Conseil de cabinet.
Si le calendrier est respecté, la phase opérationnelle débutera dès le quatrième trimestre, avec le lancement simultané d’une campagne nationale de sensibilisation, la mise en service de points d’accès financiers dans les zones rurales pilotes et la publication d’un premier tableau de bord semestriel. À termes, l’exécutif table sur une hausse de dix points du taux d’inclusion financière d’ici 2028, une perspective qui, selon la Banque mondiale, pourrait ajouter près d’un point de croissance annuelle au PIB congolais.
Au-delà des chiffres, l’initiative symbolise la volonté du pays de se positionner comme un laboratoire de solutions financières adaptées aux contextes subsahariens. De quoi nourrir, d’ici quelques années, un récit national où l’innovation et la solidarité sauront conjuguer performance économique et progrès social.