Un dialogue institutionnel en filigrane
À Brazzaville, la moiteur d’août n’a pas empêché la salle des Pas perdus de l’Assemblée nationale de résonner d’une conversation aux accents feutrés. Le président de l’institution, Isidore Mvouba, y recevait l’ambassadrice de France, Claire Bodonyi, venue « débriefer » sa participation à la cinquantième session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie organisée un mois plus tôt à Paris. L’exercice, d’apparence protocolaire, renvoie pourtant aux fondements mêmes de la diplomatie contemporaine : multiplier les canaux, diversifier les formats, afin que les parlements deviennent des acteurs à part entière du dialogue bilatéral. Au-delà des visites officielles, c’est dans la régularité de ces échanges techniques que se tissent, selon l’expression d’un conseiller de la Chambre basse, « les fils invisibles d’une relation de confiance ».
Depuis plusieurs années, la République du Congo s’est engagée dans une stratégie de diplomatie parlementaire qui complète l’action de l’exécutif sans jamais s’y substituer. Saisissant l’opportunité, la partie française explore un terrain relativement épargné par les aléas des conjonctures internationales. « Nos Assemblées savent parler le même langage : celui de la proximité avec les citoyens », confiait l’ambassadrice à l’issue de l’entretien. Dans les couloirs, les collaborateurs insistaient sur la sobriété du dispositif : pas de grande annonce, mais un accord tacite pour faire avancer des dossiers concrets.
Les groupes d’amitié, matrice des gestes concrets
Le maillage repose d’abord sur les groupes d’amitié franco-congolais, ces formations transpartisanes qui, dans chaque chambre, rassemblent des élus soucieux de nourrir un dialogue régulier. Leur rôle, longtemps cantonné aux échanges de délégations, se veut désormais plus opérationnel. Il s’agit d’identifier des chantiers législatifs où la comparaison des expériences, voire l’assistance technique, peut accélérer les réformes. Économie numérique, encadrement de la décentralisation ou promotion de l’entrepreneuriat culturel figurent parmi les priorités communes. « Le Parlement est un laboratoire de solutions », explique un député de la majorité, rappelant que les avancées sur la protection des données personnelles ont bénéficié de l’expertise accumulée par la Commission française compétente.
La prochaine session de travail, programmée pour l’automne, pourrait sceller un appui méthodologique à la table ronde sur la modernisation de l’administration parlementaire congolaise. Les deux partis s’accordent à dire que l’efficacité de l’institution dépendra de l’accès des élus à l’information scientifique et statistique, domaine où l’Assemblée nationale française dispose d’outils éprouvés.
La stèle, mémoire partagée et politique
Si la politique a besoin de symboles, la coopération culturelle offre ici un marqueur tangible : l’implantation d’une stèle honorant le sacrifice des tirailleurs africains, et singulièrement congolais, engagés dans la libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale. Donnée par feu Thierry Tassez, ancien maire de Verquin, la sculpture sommeille depuis quelques mois dans les réserves du Centre de formation et de recherche en art dramatique (Cfrad). Son destin ne relève pas seulement du patrimoine ; il incarne un récit commun que les deux pays entendent transmettre aux jeunes générations.
À Brazzaville, ancienne capitale de la France libre, l’initiative trouve un écho particulier. « Nous voulons que ce monument parle avant tout aux étudiants et aux artistes », souligne la ministre congolaise de la Culture, associée au projet. Le choix du Cfrad participe d’une volonté de croiser mémoires et créativité : le lieu, en cours de réhabilitation, doit accueillir des résidences d’écriture et des ateliers de scénographie inspirés par l’épopée des tirailleurs.
Calendrier commun, symbole d’une méthode
La question de l’agenda a occupé une part importante des discussions du 1er août. L’inauguration conjointe du Cfrad rénové et de la stèle pourrait avoir lieu au premier semestre 2025, dans une fenêtre compatible à la fois avec le calendrier parlementaire congolais et avec les échéances diplomatiques françaises. Cette synchronisation illustre le pragmatisme revendiqué par les deux parties : inscrire chaque geste symbolique dans une dynamique d’ensemble, plutôt que de multiplier les événements ponctuels sans lendemain.
À Paris, les parlementaires qui suivent le dossier saluent la démarche. « Nous voulons éviter l’effet catalogue », indique l’un d’eux. Le principe est simple : chaque projet doit déboucher sur un instrument durable, qu’il s’agisse d’un accord de coopération culturelle ou d’un programme de formation continue. Le Congo, de son côté, y voit un moyen de consolider des partenariats efficaces, en parfaite cohérence avec les orientations des autorités nationales en matière d’ouverture et de développement.
Perspectives pour une diplomatie du quotidien
Au-delà de l’étiquette protocolaire, la rencontre entre Isidore Mvouba et Claire Bodonyi révèle la maturation d’une diplomatie du quotidien, moins spectaculaire mais plus résiliente. Les analystes notent que, dans un environnement international marqué par la compétition des puissances, la multiplication de canaux parlementaires diversifie les points d’appui du Congo sans contredire ses choix souverains. Elle contribue également, indirectement, à la modernisation de la gouvernance en exposant les élus à des pratiques comparées.
Les prochains mois devraient confirmer cette tendance. Des sessions de formation croisée pour les administrateurs des deux Assemblées sont dans les cartons, tout comme un jumelage numérique entre bibliothèques parlementaires. Autant de micro-projets qui, mis bout à bout, traduisent l’ambition partagée de construire des ponts solides, même s’ils se dressent sans fracas. Comme le rappelait l’ambassadrice, « la coopération est affaire de patience ; elle mûrit loin des projecteurs, mais ses fruits se voient longtemps ». Du côté congolais, l’on estime que cette approche graduelle conforte l’image d’un pays résolument tourné vers les partenariats équilibrés, fidèle à l’esprit d’ouverture qui caractérise Brazzaville depuis les heures fondatrices de 1944.