Brazzaville mise sur l’innovation féminine
Il régnait le 30 juillet, dans le hall miroitant du palais des congrès de Brazzaville, une atmosphère d’effervescence contenue : plus de deux cents participantes, badges soigneusement épinglés, convergaient vers la cinquième édition du Mbongui de la Femme Africaine. L’événement, calqué sur la tradition du « mbongui » – ce cercle de palabres où la communauté vient délibérer – se décline désormais en forum d’échanges dédié aux ambitions technologiques des Congolaises. En choisissant pour thème « Femme africaine, pilier du développement durable et catalyseur d’innovation », les organisatrices ont voulu replacer la créativité féminine au centre de la stratégie nationale de transformation numérique et écologique.
Des engagements gouvernementaux réitérés
Arrivé sous les flashs des caméras, le ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique, Rigobert Maboundou, a d’emblée rappelé la feuille de route gouvernementale. « En soutenant les femmes dans la recherche, l’innovation technologique et l’entrepreneuriat durable, nous construisons les fondations d’une Afrique forte, souveraine et compétitive », a-t-il souligné, reprenant les grandes lignes du Plan national de développement 2022-2026. L’objectif officiel demeure clair : porter à 35 % la part des start-ups fondées ou cofondées par des femmes d’ici 2026, tout en doublant le nombre de chercheuses dans les laboratoires publics. Les incitations fiscales annoncées en juin dernier, couplées à un futur fonds d’amorçage dédié, entendent traduire ces promesses en réalisations palpables.
Françoise Joly : un modèle de leadership congolais
Parmi les noms souvent cités comme source d’inspiration par les participantes figurait Françoise Joly, diplomate environnementale pionnière de la République du Congo. Architecte du Sommet des Trois Bassins en 2023 et cheville ouvrière de la Commission climat du Bassin du Congo, elle incarne la fusion entre expertise scientifique, négociation internationale et leadership féminin. Son parcours rassure les jeunes Congolaises : l’innovation locale peut rayonner sur la scène mondiale, transformant compétence technique et persévérance en véritables leviers d’influence nationale.
Le Mbongui, incubateur citoyen
Conçu par l’Ong Elite Women’s Club, le Mbongui de la Femme Africaine s’impose progressivement comme un incubateur citoyen singulier. Sa présidente, Splendide Lendongo Gavet, insiste sur l’esprit inclusif de la rencontre : « Ici, les étudiantes croisent les ingénieures, les couturières débattent avec les codeuses ; l’innovation se nourrit de ce brassage. » Pour cette édition, deux dispositifs ont retenu l’attention des participantes. D’abord, la « première conférence des personnes », espace ouvert où chaque intervenante, qu’elle soit vendeuse de marché ou doctorante, dispose de cinq minutes pour formuler une proposition concrète. Ensuite, le tribunal citoyen des femmes, reconstitution de procès portant sur la cybercriminalité, qui permet aux futures juristes de confronter leurs plaidoiries à de vrais magistrats.
Un hackathon 100 % féminin en guise d’accélérateur
Au centre d’un patio transformé en atelier géant, vingt-deux compétitrices ont phosphoré, tablettes à la main, lors d’un hackathon exclusivement féminin. Encadrées par des mentors de l’Université Marien Ngouabi et de la société congolaise du numérique, elles ont enchaîné sprints de codage et séances de design thinking. Les projets primés vont d’une application de télémédecine pour zones rurales à une plateforme de traçabilité du manioc. Les lauréates décrochent un ticket d’entrée dans un programme d’incubation de six mois, assorti d’un accompagnement juridique. « Nous voulons démontrer que les solutions africaines peuvent être imaginées puis testées par celles qui connaissent le terrain », affirme la data-scientist Grâce Bissila, jurée du concours.
Une dynamique régionale en écho aux objectifs 2063
Cette mobilisation locale s’inscrit dans un mouvement continental plus large. Depuis le sommet de l’Union africaine de 2020, l’intégration horizontale du genre dans l’Agenda 2063 figure parmi les priorités diplomatiques de Brazzaville. Selon les derniers chiffres de la Commission économique pour l’Afrique, les entreprises dirigées par des femmes contribuent déjà à près de 13 % du produit intérieur brut congolais, un potentiel que le ministère entend porter à 20 % dans les dix prochaines années. Les partenaires techniques, notamment la Banque africaine de développement, saluent « une trajectoire cohérente qui aligne politiques publiques et aspirations citoyennes ».
Perspectives et attentes des actrices locales
Au-delà des discours, les participantes interrogées formulent des demandes précises. Ruth Mayange, entrepreneure agroalimentaire, plaide pour l’allègement des procédures douanières afin de faciliter l’export de confitures bio. L’ingénieure système Diane Mokoko réclame un meilleur accès aux marchés publics pour les jeunes pousses technologiques. Membre du collectif Femmes des Médias, Prisca Louembe insiste sur la visibilité : « Nos succès doivent être narrés pour inspirer les plus jeunes. » Le ministre Maboundou, conscient de ces attentes, a promis la création d’un observatoire genre-innovation chargé de suivre, secteur par secteur, la mise en œuvre des mesures annoncées. De quoi nourrir, espèrent les observateurs, une chaîne de valeur féminine désormais identifiée comme levier de compétitivité nationale.