Femmes et gouvernance participative
Dans la moiteur de la fin juillet, le Centre international de conférences de Brazzaville a résonné d’une clameur peu habituelle : plus de quatre cents participantes, venues des douze départements du pays, ont fait cause commune pour interroger la place réelle des femmes dans les processus de concertation nationale. Baptisé « Mbongui de la femme africaine », le forum reprend le nom du cercle traditionnel où, autrefois, se décidait la vie collective. « Or, sans la femme, le cercle demeure incomplet », martèle la promotrice Splendide Lendongo Gavet, convaincue que la qualité du dialogue national dépend de la diversité de ses voix. L’appel n’est pas anodin : depuis la tenue du Dialogue national inclusif de 2015, la représentation féminine au sein des comités de suivi oscille autour de 15 %, un seuil encore loin de la parité souhaitée par l’Union africaine (UA, 2020).
Innovation et développement durable portés par les femmes
Le thème de l’édition 2024, « Femmes africaines, piliers du développement durable et catalyseurs d’innovation », illustre un changement de paradigme. Au-delà de la symbolique, les tables rondes ont révélé une réalité économique : dans les start-ups congolaises inscrites au registre du commerce depuis 2019, une sur trois est fondée ou cofondée par une femme, selon l’Agence de promotion des investissements. Sur le terrain, ces entrepreneuses innovent dans l’agro-transformation, la fintech ou l’énergie solaire, contribuant à la résilience climatique et à la souveraineté alimentaire. En qualifiant leurs initiatives de « laboratoires vivants du développement », la chercheuse Clarisse Monkaya, du Centre national de recherche scientifique et technologique, souligne que ces expériences gagnent à être relayées au niveau des politiques publiques.
Un plaidoyer appuyé par la recherche scientifique
Présidant la cérémonie, le ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique, Rigobert Maboundou, a rappelé que « le développement durable ne sera pas africain s’il n’est pas féminin ». Dans les couloirs, ses conseillers confient que le département travaille à un mécanisme de subvention ciblée destiné aux laboratoires dirigés par des femmes ou employant une majorité de techniciennes. Cette orientation rejoint les conclusions d’une étude conjointe UNESCO-CAMES montrant que la mixité des équipes scientifiques augmente de 30 % le taux de dépôt de brevets en Afrique centrale (UNESCO, 2023). En liant recherche, innovation et genre, les autorités cherchent ainsi à institutionnaliser l’impératif d’inclusion sans recourir à des quotas perçus, parfois, comme artificiels.
Enjeux sociaux et numérique inclusif
Les débats ont également mis en lumière la fracture numérique, frein majeur à la pleine participation des femmes aux espaces de décision. D’après le dernier rapport de l’Autorité de régulation des postes et communications électroniques, les femmes ne représentent que 38 % des usagers réguliers d’internet haut débit dans le pays. Les associations présentes ont insisté sur la formation aux compétences digitales, indispensable pour que la voix féminine soit audible dans les forums en ligne où se conçoivent aujourd’hui les politiques publiques. « Qui ne maîtrise pas les codes du numérique reste sur le seuil du débat », avertit la juriste Murielle Mayembo, spécialiste des droits humains.
Perspectives institutionnelles après 2024
Alors que la prochaine édition du Mbongui n’aura lieu qu’en 2026, les participantes refusent de laisser retomber l’élan. Un mémorandum adressé au Premier ministre propose l’institutionnalisation d’un Secrétariat permanent au sein du ministère de la Promotion de la femme, avec mandat de suivre l’intégration du genre dans tous les dialogues sectoriels. Plusieurs observateurs y voient une mesure pragmatique, susceptible d’ancrer la dynamique actuelle sans créer de nouvelles structures administratives. En filigrane, c’est la crédibilité même des futurs dialogues nationaux qui se joue. Car, au dire de l’économiste Évariste Tchibota, « une concertation qui n’intègre pas l’autre moitié du pays s’expose à des solutions bancales ».
Reste que le climat est volontairement constructif : aucune revendication antagoniste n’a surgi contre l’exécutif. Au contraire, l’accent a été mis sur la complémentarité entre initiatives citoyennes et volonté politique. La feuille de route élaborée par les participantes mise sur le triptyque formation, financement et visibilité, avec un calendrier de suivis trimestriels. Ce mécanisme, s’il est entériné, renforcerait la cohérence des politiques de développement telles que formulées dans le Plan national de développement 2022-2026, déjà attentif à la dimension genre. Ainsi, bien plus qu’un simple slogan, « la moitié manquante » se présente désormais comme un partenaire stratégique, pleinement engagé dans la mise en œuvre des ambitions nationales.