Brazzaville observe l’ascension tchadienne
Il est des délibérations discrètes dont l’écho résonne pourtant jusqu’aux berges du fleuve Congo. Réunis à N’Djamena pour leur 75ᵉ session, les ministres des dix-neuf États membres de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) ont porté, à l’unanimité, la Tchadienne Fatima Goukouni Weddey à la tête de leur Comité. À Brazzaville, où siège l’un des centres névralgiques de contrôle régional, la nouvelle a été saluée comme le signe d’un renouveau concerté dans la gouvernance du ciel africain, un domaine où le Congo-Brazzaville, par sa position géostratégique, demeure un acteur pivot.
Un mandat de douze mois sous haute pression
Le Comité des ministres constitue l’organe décisionnel suprême de l’ASECNA. En prendre la présidence, fût-ce pour un seul exercice, revient à orienter la stratégie commune sur les questions les plus sensibles : modernisation des infrastructures, harmonisation des normes et financement de services toujours plus coûteux. « Notre responsabilité est collective ; l’espace aérien ne connaît pas de frontières politiques », a rappelé Mme Goukouni Weddey lors de sa première allocution officielle. Son propos, relayé en direct dans plusieurs capitales dont Brazzaville, a fixé le cap d’un mandat qui privilégiera la concertation permanente et le pragmatisme budgétaire, deux vertus d’autant plus nécessaires que les trafics intra-africains renouent progressivement avec les niveaux d’avant-pandémie.
Enjeux technologiques et exigences environnementales
À l’ère des cockpits numérisés et du ciel bientôt encombré par les drones, l’ASECNA se trouve au bord d’une révolution dont l’issue dépendra de la capacité des États à mutualiser leurs investissements. Depuis son centre de Brazzaville, l’ingénieur congolais Constant Nkouka confirme que « la généralisation du guidage par satellite, déjà amorcée, doit s’accompagner d’une cybersécurité robuste ». La nouvelle présidente en fait une priorité, sans éluder la pression croissante des régulateurs internationaux sur la réduction de l’empreinte carbone des vols. L’Afrique centrale, riche en forêts primaires, ne saurait rester à l’écart des standards ICAO visant la neutralité climatique à l’horizon 2050.
Le Comité des ministres, clef de voûte institutionnelle
Créée en 1959, l’ASECNA est souvent citée comme l’illustration la plus aboutie d’une coopération technique africaine. Le Comité des ministres incarne cette originalité en conciliant souverainetés nationales et gestion intégrée d’un espace aérien couvrant seize millions de kilomètres carrés. Chaque année, il adopte un plan de services et nomme les principaux dirigeants, parmi lesquels le directeur général de l’Agence. À ce propos, une source proche du ministère congolais des Transports rappelle que « la régularité des audits de conformité et la transparence des appels d’offres sont la meilleure garantie d’un accompagnement durable des bailleurs multilatéraux ».
Diplomatie des couloirs et bénéfices pour Brazzaville
Si la présidence tchadienne se veut fédératrice, elle ouvre également des opportunités bilatérales. Dans les couloirs feutrés du siège brazzavillois de l’Institution de coordination de la navigation aérienne (ICNA), on souligne que la montée en puissance des hubs de N’Djamena ou de Douala ne se fera pas au détriment de l’aéroport Maya-Maya, récemment modernisé. Bien au contraire : l’interopérabilité des systèmes CNS/ATM devrait permettre de fluidifier les routes transversales reliant l’Afrique de l’Est au golfe de Guinée via Brazzaville, renforçant la vocation logistique de la capitale congolaise et, partant, l’attractivité économique nationale.
Cap sur une gouvernance ancrée dans le dialogue
À plusieurs reprises, Mme Goukouni Weddey a insisté sur la « lucidité » face aux défis contemporains, formule qui tranche avec les discours parfois incantatoires des rencontres multilatérales. Interrogé par nos soins, le professeur Michel Ngoma, spécialiste congolais des politiques de transport, analyse cette petite révolution rhétorique : « Elle place la barre très haut en évoquant la culture du résultat. Il ne s’agit plus seulement de proclamer l’unité africaine, mais de livrer un service aérien sûr, régulier et financièrement soutenable. » La nuance n’a rien d’anodin pour les jeunes professionnels brazzavillois, prompts à scruter des signaux d’efficacité administrative.
Perspectives et attentes de la jeune génération urbaine
Au-delà des enjeux diplomatiques, la nomination de Mme Goukouni Weddey symbolise, pour les jeunes adultes de Brazzaville, une représentation féminine accrue à des postes que l’on disait réservés aux technocrates chevronnés. Dans les amphithéâtres de l’Université Marien-Ngouabi, on voit déjà poindre des vocations d’ingénieures aéronautiques, tandis que les incubateurs technologiques locaux rêvent d’applications visant à optimiser le trafic régional. « Une présidence féminine à l’ASECNA encourage le continent à investir dans des talents diversifiés », résume la startupeuse Sonia Mabiala, lauréate du dernier concours panafricain des solutions smart-city.
Un ciel africain plus sûr, levier de croissance
La sécurité de la navigation aérienne n’est pas un luxe mais la condition sine qua non de l’intégration économique régionale. En misant sur des infrastructures modernisées et une gouvernance partagée, les États membres, dont le Congo-Brazzaville, consolident l’essor des échanges commerciaux, du tourisme et des services logistiques. Selon la Banque africaine de développement, une progression annuelle de 5 % du trafic passagers pourrait générer plusieurs milliers d’emplois directs dans les métropoles aéroportuaires d’Afrique centrale. Le mandat de Mme Goukouni Weddey, bien que bref, s’inscrit donc dans un temps long, celui d’un continent qui ambitionne de ne plus être un simple détenteur d’espaces aériens mais un véritable architecte de son ciel.
Entre modernité et continuité institutionnelle
Au terme de cette 75ᵉ session, l’ASECNA confirme sa capacité d’adaptation sans renier l’esprit de solidarité qui la fonde. Brazzaville, en témoin attentif, se prépare à contribuer d’autant plus vigoureusement que la compétence technique locale et le positionnement géographique du Congo restent des atouts convoités. Dans les mois à venir, le succès des chantiers annoncés dépendra de la cohérence des arbitrages budgétaires et de la qualité du dialogue inter-États, deux dimensions que la nouvelle présidente semble déterminée à orchestrer. L’avenir dira si le ciel africain, mieux balisé, saura soutenir les ambitions de mobilité et de prospérité partagées qui s’expriment de Pointe-Noire à Bangui.