L’allaitement, pivot d’une stratégie sanitaire nationale
Dans la moiteur d’août, la capitale congolaise a de nouveau résonné des appels en faveur de l’allaitement maternel exclusif. Le Dr Noël-Marie Zagré, représentant par intérim de l’UNICEF, a rappelé qu’à 32 %, le taux national demeure inférieur à la cible minimale de 50 % fixée par l’Organisation mondiale de la santé. Derrière cette statistique se nichent des enjeux cruciaux pour la survie et la croissance harmonieuse de près de 200 000 nourrissons chaque année.
Le ministère de la Santé et de la Population inscrit depuis 2018 l’alimentation du jeune enfant dans le Plan national de développement sanitaire. La Semaine mondiale de l’allaitement, célébrée début août, sert désormais de boussole médiatique pour mesurer l’avancée de cet engagement politique. « Nous disposons d’un vrai consensus interinstitutionnel », glisse une source à la Direction générale de la santé, soulignant que la feuille de route 2022-2026 prévoit l’extension des unités de nutrition thérapeutique dans les treize départements.
Solidarité familiale et diplomatie sanitaire
Au Congo, l’allaitement s’enracine dans la solidarité lignagère, mais il se nourrit aussi d’une diplomatie sanitaire où partenariats et plaidoyers se conjuguent. Les agences onusiennes, les ONG et le secteur privé s’emploient à créer des « systèmes de soutien durables », thème retenu cette année par l’Alliance mondiale pour l’allaitement. Dans la périphérie sud de Brazzaville, le Centre de santé intégré de Makélékélé expérimente depuis janvier un binôme mère-conseillère : chaque accouchée reçoit la visite hebdomadaire d’une pair éducatrice formée grâce à un financement conjoint État-UNICEF.
Les résultats préliminaires intriguent : la proportion de nouveau-nés mis au sein dans l’heure suivant l’accouchement a bondi de 44 % à 71 % en six mois. « La clé est l’accompagnement. Une mère informée se sent légitime et persévère », analyse Dr Henri Gomès, pédiatre consultant au projet.
Le lait maternel : premier vaccin et vecteur d’égalité
La littérature scientifique est désormais formelle : un bébé non allaité a quatorze fois plus de risques de décéder avant six mois qu’un bébé allaité exclusivement. Au-delà de la défense immunitaire, la mise au sein favorise la maturation cognitive grâce aux acides gras à longue chaîne. Les bénéfices maternels ne sauraient être occultés : réduction documentée du diabète de type 2, espacement naturel des naissances et moindre prévalence des cancers mammaires.
Ces atouts dessinent aussi des retombées macro-économiques. La Banque mondiale estime que chaque dollar investi dans la promotion de l’allaitement en rapporte jusqu’à trente sous forme de productivité accrue et de dépenses médicales évitées. « Promouvoir le lait maternel revient à injecter une police d’assurance santé dès la naissance », résume Dr Mireille Bemba, économiste de la santé à l’Université Marien-Ngouabi.
Malnutrition : cartographie d’un défi inégalement réparti
Le tableau national révèle cependant des disparités. Selon le chef de service nutrition, M. Christophe Gnimi, la prévalence de la malnutrition aiguë atteint 6,7 % dans le département du Pool, contre 3 % dans la Lékoumou et la Cuvette-Ouest. Le retard de croissance, miroir d’une carence alimentaire prolongée, touche près d’un enfant sur cinq au niveau national, culminant à 46,1 % dans la Lékoumou.
Ces chiffres plaident pour une approche territorialisée. Une campagne pilote de suppléments micronutritionnels a été lancée en juillet dans les districts les plus touchés, en synergie avec les actions de promotion de l’allaitement ; l’objectif est de rompre le cercle « fécondité précoce-diversité alimentaire insuffisante ».
Pistes d’amplification et rôle du secteur privé
Les autorités queryssent désormais l’implication des entreprises. Une charte d’entreprise amie des nourrissons, en discussion à la Chambre de commerce, vise à étendre les congés de maternité et à créer des salles d’allaitement sur les zones industrielles de Maloukou et de Pointe-Noire. « Le secteur privé est prêt à embarquer », affirme Mme Patricia Okoumba, porte-voix d’un collectif de DRH, convaincue du retour sur investissement en termes de fidélisation des salariées.
Sur le terrain normatif, le gouvernement a actualisé en mai la réglementation sur les substituts du lait maternel, renforçant l’encadrement de la publicité et l’étiquetage bilingue. Les inspections conjointes Santé-Commerce devraient démarrer avant la fin de l’année, preuve que l’arsenal législatif s’accompagne d’un mécanisme de contrôle effectif.
Vers un futur à 50 % : entre volontarisme et réalisme
Atteindre un taux de 50 % d’allaitement exclusif d’ici 2025 reste ambitieux, mais les signaux convergent : mobilisation politique, adhésion communautaire, plaidoyer scientifique. Le Dr Zagré demeure prudent, évoquant la nécessité de « maintenir la pression et d’harmoniser les messages, surtout en zones urbaines où le marketing des laits artificiels est persuasif ». Toutefois, la dynamique actuelle offre un horizon crédible ; elle positionne le Congo dans le sillage des États africains qui considèrent la nutrition comme un moteur de capital humain.
À l’heure où l’économie mondiale valorise de plus en plus les indicateurs d’investissement social, le pari sur le lait maternel pourrait bien devenir la marque d’une gouvernance soucieuse du long terme. Le nourrisson, premier bénéficiaire, demeure aussi le futur citoyen dont le pays entend garantir la pleine épanouissement.