Brazzaville célèbre la Jifa en grand
Du 29 au 31 juillet, le Centre culturel Jean-Baptiste Tati Loutard a vibré au rythme de la Journée internationale de la femme africaine. Pour sa cinquième édition, le Mbongui de la femme africaine, placé sous le thème « Femmes africaines, piliers du développement durable et catalyseurs d’innovations », a réuni entrepreneures, chercheuses, étudiantes et responsables institutionnels autour d’un objectif commun : faire de l’inclusion du genre un levier de gouvernance et de prospérité partagée. À l’issue des travaux, les participantes ont adressé aux décideurs une recommandation explicite : que les femmes et les personnes vivant avec handicap soient partie prenante de tout processus de dialogue et de décision publique, y compris dans ses volets numériques et technologiques.
Une agora intergénérationnelle
Le terme « mbongui », hérité de la tradition kongo, désigne l’espace circulaire où la communauté se réunit pour délibérer et transmettre. La promotrice du rendez-vous, Mme Splendide Lendongo Gavet, s’est appuyée sur ce symbole pour réunir plusieurs générations de femmes congolaises et africaines. « Lorsque les femmes se rassemblent, les idées jaillissent, les solutions émergent et les barrières tombent », a-t-elle déclaré à la clôture, rappelant la vocation profondément inclusive du forum. L’atmosphère studieuse s’est doublée d’une chaleur toute urbaine : entre deux panels, il n’était pas rare d’apercevoir de jeunes programmeuses conseiller des cheffes de groupements agricoles sur l’art de raconter leur marque sur les réseaux sociaux.
Inclusion et handicap au cœur des plaidoyers
Sans occulter les avancées enregistrées par le Congo en matière de promotion féminine, les intervenantes ont souligné la persistance de freins socio-culturels et d’obstacles matériels qui touchent de façon accrue les femmes en situation de handicap. « Nous devons passer du discours à la planification budgétaire », a plaidé Dr Solange Massanga, sociologue de l’université Marien-Ngouabi, en évoquant la nécessité d’adapter les bâtiments administratifs, les plateformes numériques et les procédures de crédit aux réalités des personnes à mobilité réduite. Le débat a résonné avec l’agenda continental porté par l’Union africaine, qui place 2023 sous le signe de l’inclusion et de la résilience économique.
Technologie, STEM et entrepreneuriat
Moment particulièrement attendu, le hackathon « Femmes & Code » a mobilisé une trentaine d’étudiantes issues des filières mathématiques, informatique et électronique. Durant quarante-huit heures, elles ont développé des prototypes d’applications dédiées à l’agro-traçabilité, à la télémédecine rurale ou encore à la géolocalisation des cas d’urgence. Le jury, composé de professeurs de l’École supérieure polytechnique et de représentants du secteur privé, a récompensé un projet d’interface vocale facilitant l’accès des personnes malvoyantes aux services administratifs. « Vous êtes les architectes du futur », a lancé Mme Lendongo Gavet devant ce public qui incarne la relève scientifique congolaise. Parallèlement, un salon de l’entrepreneuriat durable a mis en avant des start-up dirigées par des femmes, dont certaines produisent déjà des briques écologiques à base de résidus de canne à sucre.
Entre savoirs endogènes et numérique
Au fil des échanges, un consensus est apparu : l’innovation africaine ne peut se concevoir sans un ancrage profond dans les savoirs endogènes. L’ethnobotaniste Julienne Ndinga a par exemple démontré la pertinence des pharmacopées traditionnelles dans les circuits de santé communautaire, à condition d’en encadrer scientifiquement les protocoles. De son côté, la jeune ingénieure Huguette Bissila a insisté sur la nécessité de protéger les données génétiques africaines avant toute valorisation industrielle. Ces passerelles entre tradition et modernité répondent à la double exigence de souveraineté culturelle et de compétitivité économique.
Perspectives après la cinquième édition
Alors que le rideau tombe sur ce Mbongui, plusieurs chantiers restent ouverts. Les organisatrices projettent d’établir un tableau de bord trimestriel pour suivre les politiques publiques relatives au genre, en coordination avec les ministères concernés. Un fonds d’impulsion dédié aux tech-women congolaises doit également voir le jour, abondé par des partenaires bancaires locaux. Enfin, un « club des alliés », composé d’hommes engagés pour l’équité, sera lancé à Brazzaville afin de porter, au-delà des cercles militants, le message d’une société inclusive. À l’écoute de ces annonces, la juriste Evelyne Ngali résume l’état d’esprit ambiant : « Nous ne sommes pas seules et, surtout, nous ne sommes plus de simples bénéficiaires ; nous sommes des actrices de la transformation nationale ». Le Mbongui, fidèle à l’étymologie de l’échange, aura donc tenu sa promesse : ouvrir un espace où la parole féminine s’élève, se décline en projets concrets et façonne de nouvelles représentations du pouvoir dans la cité.