L’essor des Tremplins Mbote hip-hop
Dans le paysage culturel brazzavillois, les Tremplins Mbote hip-hop se sont imposés en moins d’une décennie comme un rendez-vous d’excellence pour la création urbaine. Conçu dans la mouvance des politiques publiques de valorisation des industries culturelles et soutenu par l’Institut français du Congo, le concours s’inscrit dans la volonté des autorités de transformer la passion musicale des jeunes en véritable compétence professionnelle. Le fait que la huitième édition ait attiré plusieurs centaines de candidats illustre non seulement la popularité croissante des musiques actuelles mais aussi la confiance accordée par la jeunesse à des plateformes structurées et inclusives.
D’année en année, le dispositif évolue : sessions de mentoring, ateliers d’écriture, échanges avec des producteurs régionaux. Ces modules, intégrés progressivement aux présélections, répondent à l’enjeu majeur identifié par les institutions partenaires : faire du hip-hop un vecteur d’employabilité et d’identité nationale. Le succès rencontré par les lauréats des précédentes éditions, aujourd’hui programmés sur les scènes du continent, accrédite l’idée qu’une “méthode Mbote” est en train de naître, combinant rigueur artistique et accompagnement entrepreneurial.
Le sacre de Zerké et ses pairs
Devant un jury composé de beatmakers, journalistes culturels et universitaires, Zerké, de son nom civil Kesert Gédéon Matondo, a rallié les suffrages grâce à une performance alliant maîtrise scénique, narration intimiste et instrumentation résolument contemporaine. « Je visais ce trophée depuis 2021 ; il symbolise la promesse faite à mon quartier de Mfilou », a-t-il déclaré, visiblement ému, en recevant sa distinction. Son titre Racines Urbaines, mêlant lingala, kituba et français, a convaincu le public qu’un dialogue authentique est possible entre héritage traditionnel et modernité numérique.
Dans la catégorie slam, Rodin De Samba a transcendé le silence de la salle par une diction tantôt martelée, tantôt caressante, portée par des vers qui interrogent la ville et ses mutations. « Le slam est une écoute, puis un miroir », a-t-il confié en coulisses. Sur le plan chorégraphique, le groupe Universal a misé sur un travail corporel rigoureux, inspiré du ndombolo et de la danse contemporaine. Enfin, le prix management est revenu à Estime Zakuanda, dont le business plan respirait un réalisme financier rare. Ensemble, ces lauréats incarnent une génération qui ne se contente plus de la scène mais revendique la chaîne de valeur dans son intégralité.
Un levier de formation pour la jeunesse urbaine
Au-delà de l’effervescence médiatique, l’édition 2024 des Tremplins Mbote porte l’ambition de former trente jeunes aux métiers de la musique urbaine. Selon Barbara Oboa Tabaka, responsable Communication et marketing de l’Ifc, « la crédibilité du concours se mesure à sa capacité d’insérer durablement les talents dans le secteur formel ». Le programme pédagogique annoncé conjugue droits d’auteur, marketing digital, ingénierie sonore et management de tournée. De telles compétences répondent aux besoins identifiés par le ministère de la Culture, qui encourage les synergies entre acteurs publics et opérateurs privés en vue de structurer un marché intérieur encore fragmenté.
Cette orientation vers le transfert de savoirs fait écho aux priorités nationales en matière d’économie créative. Plusieurs rapports soulignent que la filière musicale pourrait, à court terme, devenir un pourvoyeur significatif d’emplois indirects, depuis la logistique des concerts jusqu’à la production audiovisuelle. Les formations prévues à Brazzaville devraient ainsi réduire la dépendance des artistes aux studios étrangers et favoriser l’émergence d’une ingénierie locale, gage d’autonomie et de compétitivité.
Perspectives pour l’industrie musicale congolaise
Le succès de la huitième édition ouvre des horizons prometteurs. Sur le plan économique, la montée en visibilité des artistes urbains attire déjà l’attention des opérateurs télécoms, des labels panafricains et des plateformes de streaming. Cette conjoncture pourrait accélérer la professionnalisation des infrastructures, qu’il s’agisse de salles de concert adaptées ou de dispositifs de paiement des droits voisins.
Sur le plan sociétal, la figure du rappeur entreprenant ou du danseur-athlète offre de nouveaux modèles de réussite à une jeunesse parfois en quête de repères. Le sociologue Pascal Bemba évoque « un soft power musical capable de renforcer la cohésion et le rayonnement du Congo-Brazzaville ». Dans un contexte régional concurrentiel, la constance des Tremplins Mbote constitue donc un atout stratégique pour consolider l’image d’un pays qui investit dans son capital humain et culturel tout en préservant sa stabilité.
Enfin, l’annonce d’une coopération renforcée entre l’Ifc et des structures locales, notamment le Centre culturel Sony Labou Tansi, augure d’une densification du calendrier artistique dans les mois à venir. En ce sens, la victoire de Zerké n’est pas seulement un aboutissement individuel : elle joue le rôle de catalyseur, appelant à une mobilisation accrue des financements, des réseaux de diffusion et des politiques publiques en faveur de la musique urbaine.