Brazzaville célèbre l’audace des menuisiers d’ici
Le grondement discret des rabots couvrira bientôt l’avenue Alfred-Raoul : le Village artisanal, écrin flambant neuf de 5 600 m², ouvre ses portes à la 4ᵉ édition du Salon des métiers du bois. Dix ans après sa création, le Sameb s’est hissé parmi les rares vitrines nationales capables d’attirer à la fois les grands faiseurs de la filière bois et un public urbain en quête d’esthétique locale. « Nous voulons démontrer que le design congolais n’a rien à envier aux catalogues étrangers », résume Jacqueline Lydia Mikolo, ministre des Petites et Moyennes Entreprises et de l’Artisanat, lors de son face-à-face avec la presse.
Au-delà de la démonstration, l’évènement revendique une intention stratégique : réduire la dépendance aux importations de meubles, estimées à plusieurs milliards de francs CFA chaque année. Pour y parvenir, les organisateurs misent sur l’argument imparable de la qualité. Les essences nobles – limba, sapelli ou tali – se déclinent désormais en canapés modularisés, tables épurées et luminaires sculptés qui séduisent la jeune classe moyenne brazzavilloise.
Un secteur stratégique au cœur de la diversification
Longtemps réduite à l’exportation de grumes, l’économie forestière congolaise évolue vers la transformation locale, conformément aux orientations gouvernementales. La loi n°33-2022 impose un taux de transformation de 100 % d’ici 2027. Le Sameb se positionne comme un thermomètre de cette mutation : plus d’une centaine d’artisans y partageront les stands avec une dizaine d’industriels capables de laminer, sécher et usiner le bois sur place.
Selon l’Agence nationale de l’artisanat, la filière emploie déjà près de 18 000 personnes, un effectif appelé à croître de 25 % si la substitution aux importations s’intensifie. Les banques de la place, conviées aux tables rondes, examinent la création d’un fonds de garantie sectoriel. « Financer un atelier, c’est aussi maintenir un arbre supplémentaire debout, puisque le bois transformé localement encourage une gestion raisonnée », explique Paul-Arsène Mavoungou, économiste spécialisé dans les industries vertes.
Village artisanal : laboratoire d’un design identitaire
Le nouveau site, coincé entre le stade Alphonse-Massamba-Débat et la prometteuse avenue des Premiers Jeux Africains, s’apparente à un manifeste urbain. Ses allées ombragées abriteront des prototypes de mobilier multifonction pensés pour les appartements exigus des quartiers centre, mais aussi des pièces monumentales inspirées des chefferies teke et vili.
Les visiteurs, munis d’une application mobile mise au point par des start-up locales, pourront scanner chaque meuble pour en connaître l’essence, l’origine du bois, le nom de l’artisan et le prix public. En soirée, des « battle de design » opposeront jeunes créateurs et maîtres menuisiers chevronnés. Cette interaction, saluée par les écoles d’architecture, contribue à forger une esthétique contemporaine enracinée dans les savoirs vernaculaires.
Partenaires africains et alliances Sud-Sud
La Namibie, le Maroc, l’Angola et la RD Congo répondent cette année au titre de pays invités d’honneur. Leurs délégations ne viennent pas seulement exposer, elles prospectent aussi des gisements d’affaires. Rabat propose un transfert de technologie sur la finition haut-brillant, tandis que Windhoek dévoile un programme d’échanges d’étudiants designers. « Nous voulons bâtir un corridor de compétences africaines capable de capter la demande mondiale pour le mobilier éco-responsable », souligne Mireille Elion Opa, directrice générale de l’ANA.
Cette diplomatie du booth traduit l’ambition nationale : inscrire le meuble « made in Congo » dans les circuits continentaux, puis internationaux, sans renoncer à des partenariats équilibrés. Les débats programmés sur la certification FSC et l’étiquetage carbone montreront que la compétitivité s’ancre désormais dans la durabilité.
Consommer congolais, un acte citoyen et écologique
Le slogan « De la forêt à la maison, consommons congolais » sonne comme un appel civique. À Brazzaville, où la déco intérieure rivalise souvent avec la musique dans l’expression des aspirations urbaines, choisir une table façonnée à Makélékélé ou à Talangaï devient un marqueur identitaire. L’impact environnemental n’en est pas moins central : la fabrication sur place réduit l’empreinte carbone liée au transport maritime et encourage une sylviculture de proximité.
La ministre Rosalie Matondo, en charge de l’Économie forestière, l’affirme : « Chaque meuble produit et vendu localement représente une victoire sur l’exportation de grumes et une avancée vers la gestion durable de nos forêts ». Reste à transformer l’essai une fois les décors démontés. Une cellule permanente, adossée au Village artisanal, assurera le suivi des commandes et l’accompagnement technique des artisans. Gage que la flamme allumée en août ne s’éteindra pas sitôt les projecteurs rangés.