Une bataille culturelle aux allures politiques
Dans les couloirs feutrés du ministère des Affaires étrangères à Brazzaville, le nom d’Edouard-Firmin Matoko revient comme un refrain. Diplomat chevronné, actuel sous-directeur général de l’Unesco, il incarne l’espoir congolais de décrocher, en novembre, la direction de cette prestigieuse agence multilatérale au terme d’un scrutin très observé depuis Paris.
Face à lui, la Mexicaine Gabriela Ramos et l’Égyptien Khaled El-Enany bouclent une triade où chaque capital mise gros. Paris appuie publiquement Le Caire, Washington reste discret, tandis que l’Union africaine s’interroge sur la méthode pour départager deux candidats venus du continent lors d’un vote annoncé houleux en octobre prochain à.
Dans ce tumulte, le Premier ministre Anatole Collinet Makosso a dégainé un discours tranchant : « Ce n’est pas à l’Union africaine d’imposer un vote ». Derrière la formule, Brazzaville défend la liberté souveraine des États à négocier, tout en rappelant sa loyauté vis-à-vis des instances régionales et multilatérales depuis toujours.
La candidature Matoko, miroir des priorités nationales
La trajectoire de Matoko épouse les urgences éducatives du pays. Né à Pointe-Noire, formé à Rabat puis Ottawa, l’homme a dirigé plusieurs programmes africains de l’Unesco. Ses proches racontent qu’il plaide depuis des années pour des curriculums adaptés aux réalités linguistiques et numériques du Congo depuis longtemps déjà.
Sur le plan diplomatique, la nomination constituerait un symbole d’équilibre géopolitique. Avec un Centre et un Ouest africain souvent sous-représentés à la tête des grandes agences, Brazzaville perçoit une fenêtre pour faire entendre la voix des espaces fluviaux et forestiers au sein des discussions mondiales sur l’éducation inclusive.
L’entourage du chef du gouvernement nuance pourtant : « Nous ne cherchons pas une victoire d’appareil, mais une victoire d’idées », insiste un conseiller au Plateau des 15 Ans. En clair, Matoko devra convaincre sur ses projets scientifiques, plus que sur le seul tropisme francophone de Brazzaville selon diverses sources diplomatiques locales.
Tensions diplomatiques autour du soutien français
Les propos d’Anatole Collinet Makosso sur « l’ingratitude » française ont surpris plus d’un analyste. Depuis les accords monétaires de 1994, la relation bilatérale connaît des hauts et des bas, mais demeure marquée par une coopération militaire, sanitaire et pétrolière globalement stable que les chiffres d’échanges commerciaux confirment année après année encore.
Paris, toutefois, soutient l’Égyptien El-Enany, historien issu d’un grand pays arabe. Dans un marché de soutien mutuel, ce choix répond à des accords croisés négociés au Conseil exécutif de l’Unesco. Brazzaville le sait, mais joue la carte d’une diplomatie africaine moins monolithique et assume un rôle de médiateur nouveau.
L’Union africaine, elle, prône traditionnellement le consensus. Or le Nigeria et le Kenya se montrent favorables à Matoko, quand le Maroc penche pour El-Enany. Felwine Sarr, universitaire sénégalais, observe qu’« au-delà des blocs, les États veulent garder leur voix pour négocier d’autres sièges » dans les instances onusiennes à venir bientôt.
Un enjeu qui mobilise la jeunesse congolaise
Pour les jeunes de Brazzaville, ce bras de fer dépasse les salons diplomatiques. Dans les cybercafés de Bacongo, on évoque la bourse Unesco-Kigoma obtenue l’an passé par une start-up locale. « Si Matoko gagne, nos chances de partenariats grimperont », estime Dan, développeur de vingt-six ans branché sur l’innovation locale.
Les associations de défense du patrimoine misent aussi sur l’effet vitrine. L’ancienne ville de Loango, candidate à l’inscription, pourrait bénéficier d’un regard accru. Stéphanie Oba, archéologue, rappelle que « l’Afrique centrale représente moins de 5 % des sites classés, malgré un potentiel inédit » qu’elle espère voir reconnu grâce au scrutin Unesco.
Sur le terrain éducatif, le ministère de l’Enseignement préscolaire prépare déjà un plan pilote de jumelage entre lycées congolais et établissements d’Amérique latine. L’idée, soutenue par Matoko, viserait à renforcer l’apprentissage du portugais et à tester des manuels ouverts développés par l’Unesco-IITE dès la prochaine rentrée scolaire 2025.
Scénarios d’un vote décisif au Conseil exécutif
Le premier tour se déroulera au Conseil exécutif, composé de 58 États. Pour être élu, un candidat doit obtenir la majorité absolue. Si aucun ne l’atteint, les tours s’enchaînent jusqu’à un ex aequo, puis l’Assemblée générale valide en novembre. Une mécanique rodée, mais imprévisible selon plusieurs vétérans de l’Unesco.
D’après un diplomate africain basé à Paris, Matoko pourrait arriver en tête au premier tour si les États caribéens et lusophones se rangent derrière lui. Le défi serait alors de conserver cet avantage face à une coalition arabo-occidentale qui dispose d’une solide puissance de feu médiatique et logistique.
Pour éviter une fracture, Makosso aurait mandaté une cellule de concertation auprès de l’Union africaine. Objectif : convaincre que l’unité continentale se mesure à la diversité des profils présentés, non à une candidature imposée. Un message relayé par les ministres de l’Éducation du Cameroun et du Togo cette semaine.
L’Égypte, pour sa part, affirme soutenir une approche fondée sur l’alternance régionale, rappelant qu’un Africain n’a jamais dirigé l’Unesco. Brazzaville rétorque que Matoko coche aussi cette case, tandis que la France insiste sur l’expertise muséale d’El-Enany, notamment la restauration du site d’Abou-Rawash près du Caire en 2019 achevée.
Au-delà de la rivalité, l’enjeu révèle les nouvelles ambitions du Congo-Brazzaville sur la scène multilatérale. Que Matoko l’emporte ou non, le débat aura créé une visibilité rare pour la diplomatie congolaise et un rappel : la jeunesse du pays attend désormais des résultats concrets, pas seulement des symboles durables.