La pré-collecte se généralise à Brazzaville
Chaque matin, le tintement métallique des brouettes traverse les ruelles sablonneuses de Makélékélé jusqu’à Ouenzé. Des jeunes en combinaisons vertes, masques vissés sur le visage, annoncent leur passage d’un cri devenu slogan urbain : « Poubelle eleki ! ». La ville s’habitue à eux.
Contre 100 ou 200 francs CFA, ils récupèrent les sacs entassés devant les concessions, les transportent vers des points de regroupement accessibles aux camions d’Albayrak Waste Management. Une chaîne complémentaire se met en place entre micro-initiatives locales et opérateur principal.
Ce maillon longtemps négligé s’avère précieux dans une capitale qui produit environ mille tonnes de déchets ménagers par jour, selon le ministère de l’Aménagement du territoire. La pré-collecte réduit les dépôts sauvages, fluidifie la circulation des camions et améliore la salubrité des artères.
Jeunes chômeurs, nouveaux entrepreneurs urbains
Brazzaville compte une population majoritairement jeune, avec près de la moitié des habitants âgés de moins de 25 ans. Pour beaucoup, l’emploi salarié reste rare. Se regrouper autour d’une brouette, d’un pousse-pousse ou d’une moto-charrette devient une réponse pragmatique à l’attente.
« Je gagne chaque semaine ce que je ne touchais pas en trois mois auparavant », confie Brice, 23 ans, rencontré à Diata. Son équipe dessert 120 foyers, tient une comptabilité simple et verse une quote-part à une caisse commune pour renouveler bottes et gants.
En quelques mois, certains groupes ont ouvert un compte mobile money, d’autres réfléchissent à un statut de coopérative. Le service municipal de l’emploi accompagne désormais ces démarches d’enregistrement, persuadé que la professionnalisation permettra d’attirer des micro-financements, voire des partenariats avec les entreprises du recyclage.
Impact sanitaire et environnemental mesurable
L’Institut national de recherche en santé publique observe depuis deux ans une baisse des consultations liées aux diarrhées dans les quartiers bénéficiant d’un ramassage régulier. Les ordures ne s’entassent plus près des points d’eau et les moustiques trouvent moins de gîtes larvaires.
Le docteur Henri Boungou, épidémiologiste, rappelle que chaque franc investi dans la gestion intégrée des déchets génère jusqu’à dix francs d’économies en soins curatifs. « Prévenir coûte toujours moins cher que guérir, surtout lorsque les ménages participent directement au dispositif », souligne-t-il.
Vers une professionnalisation encadrée
Le ministère de l’Environnement planche sur un guide technique de la pré-collecte, inspiré des expériences de Cotonou et Kigali. Objectif : définir des zones, des tarifs plafonds et un cahier des charges qui garantisse la sécurité des travailleurs comme la traçabilité des déchets.
Une première cartographie a été présentée en avril lors d’un atelier co-organisé avec l’Agence française de développement. Les acteurs espèrent que l’officialisation facilitera l’accès à des prêts dédiés aux équipements, qu’il s’agisse de tricycles motorisés ou de simples gants certifiés.
M. Juste Désiré Moundélé, ministre de l’Aménagement de la Ville, rappelle que « la lutte contre les déchets est aussi une lutte pour l’emploi ». Selon lui, structurer la filière permettra de créer cinq mille postes supplémentaires d’ici 2026, du tri à la valorisation énergétique.
Un pas vers l’économie circulaire congolaise
Si la pré-collecte marque la porte d’entrée, l’enjeu suivant est le tri. Des essais pilotes menés à Pointe-Noire montrent qu’un sac sur trois contient des plastiques recyclables. Orienter ces matières vers des ateliers locaux réduirait les importations de granulés venant d’Asie.
Plusieurs start-ups congolaises, à l’image de Green Tech Africa, expérimentent la transformation des biodéchets en compost vendu aux maraîchers de Djoué. Le savoir-faire existe, reste à sécuriser l’approvisionnement grâce à ces collecteurs de rue devenus premiers maillons officiels de la chaîne.
Au terme du processus, la municipalité envisage un centre de valorisation énergétique capable de produire de l’électricité à partir des résidus non recyclables. Cette perspective s’inscrit dans le Plan national de développement 2022-2026 qui mise sur les énergies propres pour diversifier l’économie.
Les jeunes pré-collecteurs se projettent déjà. « Demain, nous louerons nos propres compacteurs », sourit Grâce, 26 ans, qui gère une équipe à Mfilou. Son ambition reflète celle d’une génération prête à transformer un problème urbain chronique en opportunité durable et rentable.
Le défi reste vaste : améliorer les voiries secondaires, sensibiliser les ménages récalcitrants et garantir la régularité des paiements. Mais la dynamique est enclenchée. Dans les rues de Brazzaville, chaque cri « La voirie ! » résonne comme le signal discret d’une mutation économique.
Au-delà des chiffres, c’est une nouvelle culture urbaine qui s’ébauche : celle d’habitants responsabilisés, d’initiatives solidaires et d’une ville qui respire mieux. Une preuve supplémentaire que, parfois, la solution se cache dans une simple brouette poussée avec détermination.