Un réflexe trop répandu sur la RN1
Le bitume flambant neuf de la RN1 relie Brazzaville à Pointe-Noire en moins de huit heures, mais une habitude étonnante ralentit souvent la cadence : certains conducteurs collent la ligne médiane et transforment la chaussée en bande unique improvisée.
La scène est presque quotidienne, encore plus visible à l’approche des festivités du 15 août : voitures de tourisme, taxis ou camions roulent imperturbablement sur la trace blanche, créant un serpent roulant qui frustre les usagers disciplinés.
Risques accrus de collisions frontales
Pourtant, l’article 17 du Code congolais impose de circuler à droite sauf dépassement, rappelant la règle héritée de l’époque coloniale et confirmée par les textes de 2014 sur la sécurité routière.
Rouler au centre semble anodin, pourtant chaque mètre volé à la voie opposée augmente la probabilité d’un choc frontal, principal type d’accident mortel hors agglomération selon la Brigade spéciale de la circulation.
Les experts évoquent aussi l’effet domino : en repoussant les dépassements, les « centristes » poussent les autres à tenter des manœuvres impatientes, parfois par la droite, doublement prohibées et susceptibles de provoquer carambolages.
Le Code de la route congolais rappelé
D’après une étude interne du ministère des Transports, plus de 38 % des collisions enregistrées l’an passé sur la RN1 comportaient au moins un véhicule positionné hors couloir, souvent au moment où la ligne continue se brisait.
Le colonel Luc Kimbouala, commandant du Groupement routier, résume : « Conduire au milieu, c’est comme marcher sur la balustrade d’un pont ; on croit gagner du temps, on joue surtout avec sa vie et celle des autres. »
Facteurs pratiques et état des routes
Au-delà de la théorie, la configuration géographique pèse : certains chauffeurs craignent les nids-de-poule près de l’accotement ou évitent les piétons qui traversent, préférant la bande centrale qu’ils jugent plus lisse et sécurisée.
La police reconnaît ces micro-arguments mais rappelle qu’ils ne sauraient primer sur la règle collective ; des équipes mixtes ont d’ailleurs entamé un audit des segments les plus dégradés afin de programmer des réparations ciblées.
Campagne Je garde ma droite
Depuis juin, une campagne intitulée « Je garde ma droite » tourne à la radio nationale, appuyée par des messages sur les réseaux sociaux populaires auprès des jeunes conducteurs, notamment TikTok et WhatsApp.
Les influenceurs urbains comme El Boze, suivi par plus de 200 000 abonnés, relaient des clips humoristiques où le conducteur imprudent reçoit une pluie imaginaire d’amendes virtuelle ; la dérision vise à ancrer le réflexe sans moraliser.
Renforcement des contrôles policiers
Sur le terrain, la gendarmerie mobile installe chaque week-end des points d’observation discrets entre Kintélé et Mandilou ; les patrouilles verbalisent sur-le-champ et imposent parfois un stage de rattrapage théorique.
Les amendes, comprises entre 10 000 et 30 000 FCFA, restent modestes, mais l’inscription dans le logiciel central « Lisanga Traffic » inquiète les chauffeurs professionnels, car trois infractions entraînent la suspension du permis pour six mois.
Formation et pédagogie renouvelées
Le gouvernement a également renforcé la formation initiale ; depuis janvier, chaque auto-école doit consacrer six heures au module « Positionnement routier et conscience spatiale », accompagné d’exercices sur simulateur financés par le Fonds routier.
Fabrice Mavoungou, instructeur à Makabana, observe déjà un changement : « En salle, les élèves challengent ceux qui veulent rester au centre. Sur piste, on débriefe chaque dérive. Le message passe mieux que par la peur de l’amende. »
Soutien des associations et infrastructures
Les associations de victimes, sans esprit vindicatif, soutiennent ce virage pédagogique et réclament l’installation de panneaux rappelant l’obligation de se rabattre, surtout aux abords des aires de repos et des zones scolaires.
Parallèlement, le Programme national de modernisation des routes accélère le marquage au sol réfléchissant, visible la nuit, afin que la file de droite paraisse plus évidente et rassure les conducteurs hésitants.
Radars intelligents et application numérique
Les techniciens vantent par ailleurs la future mise en service de radars intelligents capables de détecter la position latérale des véhicules ; les PV seraient envoyés automatiquement via SMS, désengorgeant les tribunaux des contraventions.
À terme, la stratégie gouvernementale vise surtout à faire évoluer la culture routière : passer d’une logique de tolérance tacite à une norme partagée où l’alignement à droite devient un réflexe citoyen, comme boucler sa ceinture.
Responsabilité individuelle primordiale
D’ici là, les automobilistes restent les premiers acteurs de leur sécurité ; en gardant leur couloir, ils gagnent parfois quelques minutes, mais surtout des années de vie, leur propre existence valant plus qu’une précieuse place au centre.
Premiers indicateurs encourageants
Les assureurs observent déjà l’évolution des sinistres ; selon la société nationale AssurRoute, les déclarations pour collisions latérales ont chuté de 8 % au premier semestre, une tendance encourageante qu’il faudra confirmer sur la durée.
Recherche scientifique et modélisation
Les universitaires du Laboratoire d’ingénierie des transports de l’USTM planchent de leur côté sur un modèle de simulation avancé qui pourrait prédire l’impact d’un alignement généralisé à droite sur la fluidité et la consommation réelle de carburant.
Brazzaville, futur exemple régional
Si l’expérimentation s’avère concluante, Brazzaville pourrait devenir un cas d’école régional, démontrant qu’une politique mêlant pédagogie, infrastructures et contrôle intelligent suffit à changer durablement une habitude ancrée chez les conducteurs congolais aujourd’hui.