Cap sur le maïs congolais
À Brazzaville, derrière la faculté de droit de l’Université Marien-Ngouabi, un terrain de 700 m² attire discrètement l’attention des agronomes. Depuis 2021, l’entrepreneur Patrick Mbemba y multiplie les essais et vient d’obtenir un rendement inattendu de 625 kilogrammes sur une seule petite parcelle.
Le chiffre défie les standards nationaux, souvent bloqués autour de deux tonnes l’hectare. Transposé à grande échelle, le protocole testerait huit à neuf tonnes, un volume capable de transformer l’alimentation animale, domaine où le Congo importe encore la majeure partie de ses intrants.
Un lopin urbain aux rendements records
Le site est coincé entre le marché Total et le stade Yougos, deux repères bien connus des habitants du deuxième arrondissement. Sans grand tapage médiatique, Eppavpa, la société fondée par Mbemba, a installé une station d’observation où tout est mesuré et consigné au jour le jour.
Des capteurs de pH, des balances automatiques et un suivi photographique permettent d’ajuster en permanence la nutrition des plantes. Chaque saison, les données sont partagées avec l’Institut national de recherche agronomique pour valider les résultats et préparer d’éventuels transferts de technologie dans d’autres départements.
Une méthode scientifique pensée pour les sols acides
Le maïs apprécie mal les sols acides caractéristiques de la cuvette congolaise. L’équipe a donc misé sur une fertilisation progressive, combinant dolomie locale, mycorhizes et micro-éléments importés. « La variété seule ne suffit pas, il fallait soigner le sol », insiste Patrick Mbemba.
Les partenaires italiens de la coopérative ont fourni des semences hybrides LG 38778 et un outil de modélisation hydrique. Cet accompagnement a limité les risques liés aux pluies irrégulières, l’un des premiers freins cités par les producteurs des Plateaux et du Niari.
Maïs et poulet, l’équation des éleveurs
Au marché de Poto-Poto, le prix de la palette d’œufs flirte désormais avec 4 000 FCFA. Les aviculteurs pointent le maïs, ingrédient dominant de la ration. « Si nous réduisons le coût du grain, le poulet suit mécaniquement », rappelle l’ingénieur, repris par de nombreux commerçants.
Avec une marge brute estimée à trente pour cent, chaque tonne d’économies permettrait d’injecter plusieurs millions de francs dans la chaîne locale. La Fédération nationale des éleveurs suit donc l’essai de Brazzaville de très près, parlant déjà d’une « fenêtre historique ».
Vers une industrie locale des aliments du bétail
La société Edanav, spécialisée dans les tourteaux, a signé un protocole d’entente avec Eppavpa pour sécuriser l’approvisionnement en grains. L’objectif est d’abaisser le prix du sac de provende à 9 000 FCFA d’ici l’an prochain, contre 12 500 FCFA actuellement.
Le ministère de l’Agriculture, consulté pour l’agrément, étudie déjà des incitations fiscales ciblées. Un conseiller confirme que le dossier « entre dans la stratégie de substitution des importations voulue par les autorités, particulièrement dans les filières prioritaires que sont le maïs et le soja ».
Un levier d’emploi pour la jeunesse
Selon l’Observatoire national de la jeunesse, cinquante mille diplômés arrivent chaque année sur le marché du travail. Patrick Mbemba voit dans la culture du maïs un vecteur d’auto-entrepreneuriat, depuis la production de semences jusqu’à la distribution de provende en mototaxi.
Durant les dernières récoltes, huit stagiaires de l’Université Marien-Ngouabi ont été formés à la conduite d’analyse foliaire et au pilotage d’irrigation. Plusieurs d’entre eux disent vouloir lancer leur propre hectare « dès la saison sèche prochaine », preuve d’un engouement naissant.
La diversification économique prend racine
Le pétrole reste la première source de devises, mais le Plan national de développement 2022-2026 fixe un objectif clair de diversification. Les gains attendus dans l’agropastoral pourraient, selon le Conseil économique et social, représenter deux points supplémentaires de croissance annuelle.
Les résultats d’Eppavpa arrivent donc à point nommé. « Nous voulons montrer qu’un hectare productif peut générer un revenu net de trois millions de francs », avance Mbemba. Des chiffres qui concordent avec les projections du Centre de politiques agricoles publié le mois dernier.
Perspectives et feuille de route 2025
Dès février, une parcelle de démonstration de cinq hectares sera ouverte à Kintélé, le long du corridor économique Nord. L’idée est d’y convier coopératives, banques et étudiants afin de tester, en conditions réelles, l’ensemble du paquet technologique mis au point à Brazzaville.
Un comité tripartite regroupant État, secteur privé et universités élaborera un guide agronomique validé scientifiquement. Les premiers lots de semences certifiées sont attendus pour juin, tandis qu’une application mobile de suivi des cultures entre en phase de test bêta.
Pour Mbemba, l’étape suivante sera la mise en place d’un fonds rotatif destiné à financer les fertilisants au taux préférentiel de trois pour cent. Plusieurs partenaires étrangers ont marqué leur intérêt, signe que le petit champ brazzavillois a déjà conquis bien au-delà des frontières.
En parallèle, l’Agence congolaise pour la normalisation prévoie de labelliser la future farine de maïs « Origine Congo ». Cette certification, destinée aux industriels de la volaille comme aux ménages urbains, pourrait renforcer la confiance des consommateurs et stimuler davantage la production nationale dès son lancement officiel en décembre prochain.