Une affaire familiale sous les projecteurs
Le dossier de succession de feue Adèle Barayo, entrepreneure connue dans le quartier Poto-Poto, a brutalement quitté la sphère familiale pour se hisser à la une, après la lettre datée du 25 juillet 2025 adressée au procureur général près la Cour d’appel de Brazzaville.
Son auteur, Franck Chardin Aubin Tchibinda, dirige l’Association pour la promotion et la sensibilisation en droits humains et pilote le Programme d’assistance juridique pour l’égalité en droit, plus connu sous l’acronyme Pajed, très présent dans les médias urbains.
Dans son courrier, il sollicite la suspension provisoire de Me Jérôme Gérard Okemba Ngabondo, huissier de justice nommé séquestre en 2020, arguant que plusieurs procédures pénales en cours risquent d’entraver la sérénité requise pour la gestion du patrimoine litigieux.
Le rôle crucial du séquestre judiciaire
Le séquestre judiciaire est désigné par le tribunal pour conserver un bien objet de contestation jusqu’à l’issue du litige; il doit demeurer impartial, rendre compte et protéger la valeur des actifs.
Dans l’affaire Barayo, l’ordonnance du 1er décembre 2020, rendue par le président du Tribunal d’instance de Ouenzé-Talangaï, avait confié à l’huissier Okemba Ngabondo la mission de sécuriser immeubles, comptes bancaires et documents d’entreprise appartenant à la défunte.
Selon plusieurs héritiers rencontrés à Mikalou, l’huissier avait, au départ, rassuré toutes les parties sur son impartialité; il leur avait promis des inventaires trimestriels, un engagement qu’ils affirment aujourd’hui ne pas avoir vu respecté.
Des accusations aux répercussions professionnelles
Le commandement de la gendarmerie a ouvert une première enquête après une conférence de presse du Pajed; le dossier, finalisé le 14 juillet, a été transmis au parquet de Brazzaville pour appréciation.
Parallèlement, une seconde procédure, déclenchée à la requête de la Cour suprême, suit son cours; les officiers de la section de recherches planchent encore sur les auditions et l’analyse des pièces comptables relatives aux loyers perçus.
Les chefs d’accusation évoqués – escroquerie, abus de confiance, abus de fonction – sont d’une gravité certaine pour un officier ministériel, car la profession d’huissier repose sur la probité et la rigueur procédurale.
Face à ces mises en cause, Me Okemba Ngabondo se dit serein; joint par téléphone, il assure disposer de justificatifs complets et évoque une cabale fomentée par certains héritiers pressés de vendre les immeubles.
La norme juridique et la jurisprudence citée
Pour étayer sa demande, le Pajed invoque l’arrêt de la Cour de cassation française du 15 juin 2022, numéro 21-16513, rappelant qu’un officier ministériel mis en examen peut être suspendu afin de préserver l’ordre public et la confiance.
Si la jurisprudence hexagonale n’a pas valeur obligatoire au Congo, elle sert souvent de référence doctrinale, hérité du système romano-germanique partagé; les magistrats congolais l’utilisent pour orienter leur réflexion sur des questions inédites.
Le code de procédure civile congolais, en son article 180, autorise déjà la suspension provisoire d’un officier ministériel pour « tout motif grave résultant d’une procédure disciplinaire ou pénale », une disposition que le parquet pourrait mobiliser.
Quel impact pour la confiance citoyenne ?
À Brazzaville, la population suit l’affaire avec intérêt, car elle touche à la question sensible de la protection des biens familiaux; sur les réseaux sociaux, de jeunes juristes vulgarisent les termes de séquestre et d’héritage pour éclairer leurs abonnés.
Me Grâce Mouélé, présidente de la Commission nationale des droits des héritiers, rappelle que « la justice doit apparaître non seulement indépendante mais surtout prévisible », soulignant que la célérité d’une éventuelle suspension enverrait un signal de rigueur.
D’autres voix, plus réservées, estiment qu’il faut éviter la présomption de culpabilité; pour Maître Dieudonné Ebangui, avocat au barreau, une mesure trop hâtive pourrait perturber l’administration des biens et retarder la liquidation définitive de la succession.
Au-delà du cas Barayo, l’épisode illustre la volonté des institutions congolaises de concilier protection des droits individuels et respect de la procédure; la décision prochaine du Tribunal de grande instance sera observée comme un test de solidité pour l’État de droit.
La profession des huissiers en quête de transparence
La Chambre nationale des huissiers de justice, que préside justement Me Okemba Ngabondo, a lancé l’année dernière un programme de digitalisation des actes pour tracer en temps réel les significations et diminuer les contestations sur les honoraires.
Ce projet, toujours en phase pilote, est salué par le ministère de la Justice, qui y voit un levier pour améliorer l’efficacité des services judiciaires et consolider l’attractivité de la place juridique brazzavilloise dans la sous-région.
Des observateurs estiment cependant que la réussite de la digitalisation passe par une éthique irréprochable des acteurs; l’affaire actuelle rappelle que la technologie seule ne suffit pas si la gouvernance interne n’est pas robuste.
Me Sylvain Bemba, expert en déontologie, plaide ainsi pour la création d’un comité disciplinaire indépendant au sein de la Chambre, doté de pouvoirs d’enquête rapides et d’un registre accessible au public sur les sanctions prononcées.
De son côté, la faculté de droit Marien-Ngouabi envisage d’introduire dès la rentrée prochaine un module sur la gestion des fonds sous séquestre, afin de former les futurs juristes aux exigences financières et éthiques liées à cette fonction sensible.